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« Le Nageur », kaddish pour Alfred Nakache

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Plusieurs piscines portent aujourd’hui le nom d’Alfred Nakache (1915-1983), « Le nageur d’Auschwitz », pour reprendre le titre de la biographie et du documentaire qui, au tournant des années 2010, furent consacrés au natif de Constantine (Algérie), spécialiste de la brasse-papillon, compagnon de relais de Jean Taris aux Jeux de Berlin 1936 et encore présent à ceux de Londres 1948. Entre temps, il y avait eu la guerre, un antisémitisme devenu politique d’État et sa déportation avec son épouse et sa fille de deux ans, qui elles n’en revinrent pas.

Ce n’est donc pas à une figure oubliée que Pierre Assouline, biographe de grandes figures du siècle passé (Gaston Gallimard, Simenon, Hergé, Albert Londres, Cartier-Bresson, etc.) s’intéresse ici. Il propose d’ailleurs ici un « récit », comme ceux précédemment consacrés à la dynastie des Camondo, collectionneurs juifs dont la demeure de la plaine Monceau est devenue un musée, et à l’intellectuel collabo Lucien Combelle, qu’il fréquenta lui-même en dépit de son passé.

L’académicien Goncourt construit justement son récit sur la rivalité entre Alfred Nakache et son concurrent Jacques Cartonnet, dandy de droite qui alla jusqu’à s’engager dans la Milice avant d’être exfiltré à Sigmaringen avec les hiérarques vichystes, puis de s’évanouir dans l’Italie de l’après-guerre. Jacques Cartonnet, soupçonné d’avoir dénoncé Alfred et les siens, repliés à Toulouse après 1940, à leurs bourreaux nazis.

Être né à Casablanca de parents juifs et avoir été lycéen à Janson-de-Sailly, où Alfred Nakache enseigna brièvement l’éducation physique, a probablement rapproché l’auteur de son personnage. L’ouvrage est également traversé par cette question : qu’éprouve-ton quand se libère la haine raciale, que monte la peur et que croît l’incertitude sur son sort ? La solidarité des uns compense-t-elle la lâcheté des autres ?

Si l’ouvrage s’organise en onze lieux, son cœur est bien la survie à Auschwitz, où Alfred Nakache brava l’autorité de ses garde-chiourmes en nageant à plusieurs reprises dans un bassin-réservoir du camp. C’est ce que l’histoire retint. Mais l’imposante bibliographie proposée en fin d’ouvrage traduit la volonté de l’auteur de faire émerger le personnage dans le quotidien de son époque, au-delà de ce très symbolique acte de résistance.

Ce qui irrigue et porte la narration, ce sont aussi les sensations propres à la nage et la relation particulière qu’après avoir surmonté sa phobie initiale, l’enfant de Constantine noua avec l’élément liquide. Jusqu’à expirer après une ultime brasse dans les eaux de la Méditerranée : « Le récit de son existence pourrait tenir en une phrase : il est né, il a nagé, il est mort. On dit qu’au lendemain de sa disparition un dauphin a tourné pendant un mois dans le port de Sète. » Mais là, on plonge dans la légende. Philippe Brenot


Le Nageur, Pierre Assouline, Gallimard, 2023, 252 pages, 20 €.
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