X
Accueil  /  Actualités  /  Vélo pour toutes et tous !

Vélo pour toutes et tous !

Dossier_couv_arrivée_Pompadour_1.jpg

Comment développer la pratique du plus grand nombre, et notamment des jeunes et des femmes ? L’établissement de passerelles entre les clubs cyclistes, l’apprentissage scolaire et le vélo loisir peut y contribuer.

Paris, place de la République, 8 h 30 du matin. Une grappe de cyclistes patiente au carrefour. Comme dans le métro aux heures de pointes, on y trouve de tout. Des vélos en libre-service et des vélos personnels, du vieux clou à l’engin flambant neuf, dont plusieurs vélos à assistance électrique, reconnaissables à leur batterie fixée au cadre ou au porte-bagage. Ce matin, il y a même un vélo-cargo qui circule à vide, peut-être après avoir déposé un ou deux enfants à la porte de leur école. En revanche, c’est un peu tôt pour les coursiers et autres livreurs, qui apparaissent en milieu de matinée et pullulent en début de soirée.

Une fois le petit feu tricolore dédié aux cyclistes passé au vert, ce petit monde s’effiloche en file indienne sur la piste à double-sens de la rue de Turbigo. Certains rejoignent ensuite la « coronapiste » de la rue de Rivoli, large boulevard à l’accès réservé où les plus pressés doublent sans danger les rêveurs qui observent l’avancée du printemps sur les frondaisons du Jardin des Tuileries ou, côté opposé, admirent les arcades devant lesquelles les chasseurs des hôtels de luxe font le pied de grue.

Vélotafeurs. Si ce peloton bigarré fluctue au fil de la journée, on y trouve à la fois des hommes et des femmes, des élégantes et des débraillés, des jeunes et des vieux, et aussi toute la palette des catégories socio-professionnelles de la capitale, certes plus riche en professions libérales et intermédiaires qu’en ouvriers. Et ce qui est vrai à Paris l’est aussi dans la plupart des grandes agglomérations : à Bordeaux, Lille, Lyon, Nantes, Rennes, Grenoble ou Toulouse, comme ce le fut d’abord à Strasbourg, pionnière des villes cyclables en France. Une « vélorution » à laquelle contribuent aussi les villes dites secondaires, de plus nombreuses à encourager la pratique cycliste en créant des pistes réservées.

Pour caractériser ces nouveaux cyclistes du quotidien, on parle volontiers de « vélotafeurs ». Le terme est cependant restrictif. Car après avoir goûté aux joies du vélo-boulot-dodo, beaucoup prennent l’habitude de prendre aussi leur vélo pour circuler le soir et le week-end, et finissent par se lancer dans des randonnées estivales en famille.

Les interminables grèves de l’hiver 2019 et les stades successifs de la pandémie de Covid-19 ont donné un coup d’accélérateur à une évolution déjà rapide, les risques de contamination venant s’ajouter au constat du temps gagné à éviter les embouteillages et à la prise de conscience écologique. Et l’effort physique exigé demeure relatif en l’absence de relief marqué. « Le jour où je me suis rendu compte que mon trajet entre la maison et le lieu de travail était non plus une contrainte, un pensum, mais un vrai moment de plaisir – supérieur même à celui que j’avais pu éprouver à moto –, j’ai compris que le vélo pouvait être beaucoup plus qu’un simple moyen de transport », témoigne le banlieusard trentenaire Jérôme Sorrel dans son guide à succès Vélotaf1.

Le peloton des lycras. À l’autre bout du spectre, il y a ceux qui, le dimanche, sillonnent en peloton plus ou moins fourni les routes de campagne ou de grande banlieue, à l’heure où bon nombre de vélotafeurs se prélassent encore dans leur lit. Même purs amateurs, ce sont des pros dans leur genre. Le coup de pédale est huilé et ils filent bon train en se passant les relais. Le vélo est de marque et profilé, le maillot moulant : c’est pourquoi on les surnomme les « lycras ». Ils aiment se « tirer la bourre » entre copains, parmi eux les femmes demeurent l’exception et bon nombre s’inscrivent à des courses pour pimenter leur passion.

Généralement, ils sont licenciés à la Fédération française de cyclisme s’ils sont portés sur la compétition, à la FFVélo s’ils apprécient les équipées cyclotouristes, ou à l’Ufolep pour bénéficier d’un large éventail de courses et de championnats accessibles au plus grand nombre. Ils croisent de temps à autre des francs-tireurs et autres cyclistes-randonneurs n’éprouvant ni le besoin de courir groupés ni d’appartenir à un club.

Si l’on s’avance en sous-bois ou dans les chemins, on croisera aussi des vététistes, qui dans la grande famille du vélo Ufolep sont désormais presque aussi nombreux que les routiers. Les amateurs de BMX, eux, ont la ville pour biotope et sont plus proches des tribus du sports urbains. Parmi elles, on mentionnera les riders et autres équilibristes de la roue arrière qui à l’occasion se rassemblent en « bikestormz », une mode venue d’Angleterre.

On ne compte pourtant que « 3 millions de cyclistes quotidiens », alors que dix fois plus en font épisodiquement mais seraient susceptibles d’utiliser plus souvent leur vélo si les conditions de circulation s’y prêtaient, souligne Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers de la bicyclette (Fub), qui fédère 400 associations militantes2. À l’heure où, dans la foulée du Plan vélo lancé en grande pompe par le Premier ministre Édouard Philippe à la rentrée 2017, les autorités publiques rêvent de mettre la France à vélo, cela fait de toute façon beaucoup de monde qui reste sur le bord de la chaussée.

Fractures territoriale et sociale. Pour certains, c’est par choix. Mais d’autres n’ont jamais appris, et plus souvent ont perdu l’habitude, ne se sentent pas à l’aise et pas en sécurité dans les rues ou sur les routes. S’y ajoutent des freins culturels ou liés à l’environnement de vie. Le vélo utilitaire, si présent en campagne jusqu’à la fin des années 70 dans toutes les catégories d’âge, y a ainsi largement disparu.

La vitrine du Tour de France ne suffit pas à faire de l’Hexagone un pays de vélo. En l’occurrence, ce serait plutôt un miroir déformant, tant la France est à la traîne en Europe. Avec 5 % de pratique quotidienne principale du vélo, elle se situe au niveau de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et de l’Irlande, avec une pratique presque trois fois moindre que la moyenne européenne, loin derrière l’Italie (13 %), la Belgique (15 %), l’Allemagne ou la Suède (19 %), et surtout le Danemark (30 %) et les Pays-Bas (43 %).

Nicolas Mercat, rédacteur de l’enquête 2020 sur l’impact et le développement du vélo, soulignait il y a peu dans nos colonnes3 la fracture territoriale entre les centres-villes, où la pratique du vélo monte en flèche, et « les zones rurales, le périurbain et les banlieues, où la pratique continue de baisser, même si cela commence à s’inverser sur la première couronne des grandes villes ». Il pointait aussi la « fracture sociale » que traduit le bouleversement opéré en vingt-cinq ou trente ans : alors que le vélo était ouvrier, rural et banlieusard, la pratique s’est effondrée parmi les couches sociales les plus populaires, ainsi que parmi les collégiens.

C’est bien pourquoi les ministères de l’Éducation nationale et des Sports, réunis depuis, ont lancé en avril 2019 le dispositif Savoir Rouler à Vélo lancé en avril 2019, et dont l’ambition était que d’ici 2024 tous les enfants quittant l’école primaire sachant circuler à vélo sur la route, à l’issue d’un apprentissage de dix heures. Si le dispositif pédagogique est au point, le déploiement a pris du retard et seulement « 15 000 attestations ont officiellement été délivrées à ce jour », comme l’a précisé Virginie Jouve, chargée de mission au ministère des Sports, lors de la visioconférence qui a réuni le 11 mars les référents vélo des comités Ufolep. Mais les partenaires concernés (écoles, collectivités locales, fédérations sportives, associations et organisme de formation comme les Moniteurs cyclistes) sont décidés à mettre les bouchées doubles.

Savoir Rouler avec l’Ufolep. Parmi eux, où en sont les comités Ufolep ? Sur les 66 ayant répondu au sondage lancé à l’occasion de cette réunion, « un tiers ne sont pas engagés dans le Savoir Rouler à Vélo, un tiers réfléchit à le faire et un tiers est dans l’action », constate Vincent Bouchet, conseiller technique et sportif à l’Ufolep et référent « vélo pour tous » de la fédération.

L’axe le plus naturel serait de développer les collaborations avec l’Usep autour des écoles primaires, comme c’est déjà le cas localement pour encadrer les dizaines de milliers d’enfants qui – en temps normal – participent en mai-juin aux étapes du P’tit Tour à vélo. « Des éducateurs sportifs ou des bénévoles pourraient venir en appui de l’Usep, sur le temps périscolaire et pour les sorties sur route qui finalisent la progression pédagogique du Savoir Rouler à Vélo », esquisse Vincent Bouchet4.

L’Ufolep peut aussi aider à actionner l’autre levier qu’est la pratique féminine, qui reste à développement massivement. D’ailleurs, partout l’on constate que, plus la part du vélo augmente dans les modes de déplacement, plus la part des cyclistes femmes devient importante. Les femmes jouent aussi un rôle prescripteur dans la pratique des enfants, qu’elles peuvent dissuader si elles-mêmes se sentent en insécurité à vélo.

Or les comités Ufolep interviennent déjà, via les Maisons sport santé société (Ufo3S) mais pas seulement, auprès de ce public féminin. Ils le font notamment auprès de femmes en situation de précarité pour qui l’apprentissage ou le réapprentissage du vélo favorise l’insertion sociale et professionnelle. La pratique régulière du vélo est aussi un facteur de santé5.

On ne demandera pas aux associations cyclistes de perdre leur identité en accueillant des personnes au niveau de pratique très faible. En revanche elles peuvent participer à l’apprentissage des enfants dans le cadre du Savoir RoulerÀ Vélo, surtout si elles possèdent déjà une école de vélo. Cela peut être une façon de séduire de futurs licenciés, et au-delà de contribuer à un projet de société où les préoccupations écologiques s’accordent avec la lutte contre la sédentarité.

« Les fédérations du vélo et leurs clubs s’inquiètent aujourd’hui de la chute de leurs effectifs licenciés. Mais voyons plus loin et considérons plutôt l’immense potentiel de développement de la pratique du vélo. Nos clubs ne peuvent y rester insensibles, même si cela ne se traduit pas, du moins à court terme, par des prises de licence », observe Vincent Bouchet. Et n’oublions pas que l’Ufolep n’a pas pour objet le haut niveau et la sélection des meilleurs, mais l’accessibilité du plus grand nombre à la pratique. Demain, tous à vélo ? Jamais utopie n’est apparue aussi nécessaire.

Philippe Brenot 

(1) Les Arènes, 2019 et nouvelle édition augmentée 2021, 160 pages, 15 €.

(2) « Qui est derrière le lobby du vélo ? », in Les Échos, 22 mars 2021.

(3) EJ n°44, décembre 2020, pages 6-7.

(4) Les clubs cyclistes sont les plus impliqués dans le dispositif – encore expérimental – initié par les deux fédérations pour favoriser la création d’associations d’école là où il n’en existe pas et la « passerelle » vers une pratique licenciée à l’Ufolep.

(5) Comme le promeut l’opération « À la mer à vélo » initiée à Chambéry (Savoie) par l’association Ufolep 4S, dédiée à la pratique adaptée des femmes atteintes par le cancer (EJ n°44, décembre 2020, page 8).


enveloppe Partager sur : partager sur Twitter partager sur Viadeo partager sur Facebook partager sur LinkedIn partager sur Scoopeo partager sur Digg partager sur Google partager sur Yahoo!

Afficher toute la rubrique