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Caroline Teulier : « l’éveil moteur du tout-petit est un enjeu de santé »

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Comment le mouvement se construit-il chez le très jeune enfant ? Si elle cherche encore dans son laboratoire de l’université Paris-Saclay, Caroline Teulier est sûre d’une chose : il faut stimuler sa motricité, comme le propose le dispositif UfoBaby de l’Ufolep, qui fête sa première année !

 

Caroline Teulier, comment en vient-on à étudier « le développement sensoriel et moteur du tout-petit dès les premiers jours de vie » ?

En allant faire un post-doctorat aux États-Unis, auprès d’une équipe qui travaillait sur la question. Encore aujourd’hui, nous devons être trois en France sur ce segment d’âge. J’utilise des capteurs 3D – comme pour créer les personnages d’«Avatar» – et je place aussi des patchs sur les muscles pour savoir comment le tout-petit, sain ou atteint d’une pathologie, construit un comportement coordonné. Par exemple, comment il apprend à bouger un pied après l’autre. Car si vous observez un nouveau-né, il bouge tout en même temps.

 

Comment s’attache-t-on la collaboration de ce public ?

Je travaille avec le «baby lab» de la maternité de l’hôpital Cochin, à Paris. J’explique ma démarche aux jeunes accouchées, souvent très coopératives. Je teste ainsi des nourrissons de trois jours. Les prémices, c’est passionnant ! À la limite, une fois qu’ils savent marcher, ça m’intéresse moins…

 

Et qu’avez-vous découvert ?

Nous cherchons encore. Un nouveau-né bouge de manière réflexe, ou bien il bouge un peu tout. Mais quand il bat des pieds, répond-il à une « commande » de son cerveau pour se mouvoir ensuite à quatre pattes, puis sur les deux pieds ? Au risque de vous décevoir, de la stimulation à la thérapie, même dans la pratique des kinésithérapeutes ou des spécialistes de la psychomotricité, cela reste empirique, sans validation scientifique.

 

Vous avez néanmoins récemment animé une conférence intitulée : «Comment apprenons-nous à marcher ?» Alors comment ?

En testant le lien entre les entrées sensorielles (l’odeur de la mère, les informations visuelles) et les capacités motrices du bébé, nous avons mis en évidence le rôle des stimulations. Stimulé visuellement, le tout-petit va se mettre à bouger, et l’odeur de la maman va améliorer la qualité du mouvement. Mais ensuite, comment notre cerveau élabore-t-il une stratégie pour gérer nos 600 muscles ? Comment les applications « marche », « course » ou « lancer » se créent-elles ? Il y a pour l’instant davantage de questions que de réponses.

 

Vous participez à un projet qui analyse, parmi un ensemble facteurs, l’impact de l’activité physique sur le développement et la santé d’une cohorte de 18 000 enfants depuis leur naissance…

Je suis en effet associée aux travaux sur la cohorte « elfe » pour ce qui a trait au développement moteur de l’enfant. Je m’intéresse précisément au lien entre ses capacités motrices et sa santé, et plus généralement son épanouissement.

 

Et alors, en quoi l’éveil moteur des tout-petits est-il alors un enjeu de santé ?

Il est premier. Le petit humain étant totalement dépendant de l’adulte, sa motricité est la base de son autonomie. Mais cette prise de conscience est récente. Cela ne fait qu’un ou deux ans que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) développe des recommandations pour l’activité physique de l’enfant de moins de cinq ans. On s’est aperçu que la sédentarité, ne pas savoir être « actif », est une source de mauvaise santé, et ce dès les premiers mois de vie.

 

C’est le syndrome de la poussette ?

Exactement. Celui du mode de vie sédentaire de notre société occidentale et de ces enfants qui restent passifs dans leur cosy. Devenir actif physiquement, c’est comme compter ou lire : cela doit s’acquérir tout petit.

 

L’Ufolep développe une offre multisport pour les 0-4 ans qui s’appuie sur la «motricité libre» : quel regard portez-vous sur l’initiative et sur le concept ? 

L’initiative est géniale. En revanche, je suis plus mitigée quant à la stricte application de la motricité libre qui, dans sa définition la plus rigoureuse, écarte toute incitation au mouvement. Les défenseurs les plus acharnés de cette méthode vont jusqu’à s’interdire de mettre l’enfant debout sur les genoux d’un adulte pour jouer avec lui, tant que l’enfant ne le fait pas de lui-même… Oui, l’enfant doit explorer son environnement, mais il le fera si celui-ci est stimulant. C’est là que se joue le rôle d’un animateur dans l’aménagement.

L’esprit d’UfoBaby, c’est justement de laisser une marge d’initiative à l’enfant, avec des modules et des accessoires stimulants, sans qu’il soit forcément guidé par la main de l’adulte, lequel reste néanmoins présent et l’accompagne si besoin…

Si c’est de l’exploration de l’environnement, de l’apprentissage, je suis d’accord. Mais on n’est pas stricto sensu dans la «motricité libre», qui d’ailleurs pour moi n’a pas de profond fondement scientifique.

 

UfoBaby favorise également l’éveil sensoriel en faisant évoluer l’enfant en plein air…

Ça, c’est fondamental. Parmi la cohorte que nous suivons, des données portaient sur 300 enfants âgés de trois ans et demi, en France. Eh bien, la différence concernant le niveau d’activité physique découlait précisément du temps passé dehors. Les enfants qui «apprennent» à jouer à l’extérieur sont beaucoup plus actifs, et de surcroît ils se créent aussi leur propre univers.

 

Hors de votre laboratoire, les enfants de votre entourage ou aperçus dans la rue sont-ils aussi des objets d’observation ?

J’observe que mes collègues de Staps créent des environnements stimulants pour développer la posture, la locomotion et la préhension chez leurs enfants. C’est se mettre sur le ventre pour jouer avec eux quand ils sont tout-petits, laisser à portée une balle dont ils voudront se saisir, les emmener au parc. Avant un an, c’est ce qui fait toute la différence avec les enfants laissées dans leur couffin, comme s’ils restaient au lit toute la journée.

C’est pourquoi j’encourage une initiative comme celle de l’Ufolep. Dès l’entrée en maternelle, les différences liées au niveau social sont criantes. Et, moins développé sur le plan moteur, un enfant sera moins apte à tenir un crayon ou à suivre un enseignement. Car les capacités motrices et cognitives sont liées. Lutter contre les inégalités passe par des programmes pour les tout-petits qui vont à la rencontre de ceux qui en ont le plus besoin. Pas les enfants stimulés dès leur plus jeune âge, mais ceux qui sont issus de milieux plus modestes et sont moins stimulés par leurs parents.

Propos recueillis par Philippe Brenot

 

Pressentie pour intervenir aux rencontres «sport et petite enfance» organisées en juin par l’Ufolep

Caroline Teulier, 43 ans, est maître de conférences en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) à l’université Paris-Saclay depuis 2012 et chercheuse au sein du laboratoire Ciams (Complexité, Innovation, Activités Motrices et Sportives). Après sa thèse sur la « Nature des transitions dans l'évolution des coordinations lors de l'apprentissage d'habiletés complexes », soutenue en 2005 à l’université de Montpellier sous la direction de Didier Delignières, elle a notamment effectué deux post-doctorats à l’université du Michigan et au CNRS à Paris. Caroline Teulier figure parmi les intervenants pressentis pour les rencontres «sport et petite enfance».


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