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Aménager des villes sportives

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Autrefois principaux emblèmes d’une politique sportive dynamique, stades, gymnases et autres piscines ont perdu leur exclusivité : les pratiques sportives ont aujourd’hui gagné l’espace public à travers les mobilités actives et l’installation d’équipements légers et de proximité, de plus en plus souvent en libre accès.

« Savez-vous quel est l’outil le plus favorable à la pratique de l’activité physique en ville ? Le banc public ! » Et Simon Davis, architecte-urbaniste chez AIA Environnement, de justifier aussitôt un point de vue un peu désarçonnant, mais finalement frappé au coin du bon sens : « Non seulement ce mobilier urbain s’avère utile à chacun pour faire des exercices, comme le pratiquant de running ses étirements, mais surtout il est efficace pour inciter les personnes âgées à marcher au quotidien. Il leur permet d’effectuer des pauses et de récupérer. C’est simple : il en faudrait un tous les 150 mètres. Et aussi une chaise à chaque étage d’immeuble ! »

L’anecdote illustre un changement d’époque, où à l’échelle d’une cité l’on parle désormais plus volontiers d’« activité physique » que de sport stricto sensu, avec de nombreuses implications concernant les espaces de pratique.

Gymnases, piscines, terrains de football et autres halles de tennis… Ces installations ont longtemps structuré la politique sportive de la ville : les spécialistes parlent d’ailleurs toujours d’équipements « structurants ». À ceci près qu’ils s’inscrivent désormais dans un paysage plus large. « Ils constituent toujours des espaces de pratique privilégiés, mais plus seulement, opine Éric Kueny, responsable du service des Sports et de la Jeunesse de la commune de Village-Neuf (Haut-Rhin), située à la fois près de Bâle (Suisse) et de la frontière allemande. Aujourd’hui, notre politique sportive doit englober l’ensemble de la population et des différentes tranches d’âges, qui expriment aussi des besoins qui auparavant émanaient seulement des associations fédérées. »

Délégué général de l’Union Sport & Cycle, représentant professionnel de la filière sport, Virgile Caillet constate effectivement « une mutation des pratiques sportives et une évolution de la demande vers plus de plein air et d’équipements en accès libre ». Un effet de la crise sanitaire ? « Pas seulement. L’étude Sport dans la ville que nous réalisons depuis 2018, montre que la pandémie et ses confinements n’ont fait qu’accélérer une tendance qui avait émergé avant. » Ceci sur un fond de motivations de « santé » et de « bien-être » citées par neuf personnes interrogées sur dix dans l’enquête 2021. « La crise a permis d’assoir de nouvelles modalités de pratique, auto-organisée notamment, qui font davantage usage de l’espace urbain », confirme Marina Honta, sociologue à l’université de Bordeaux.

Villes cyclables et « marchables »

Cela va même plus loin : désormais, la ville dans son ensemble doit inciter au mouvement. Cela commence par les mobilités actives, pistes cyclables en tête, qui continuent de se multiplier partout en France. « On en parle souvent sous l’angle de l’environnement et de la réduction des gaz à effet de serre, mais elles constituent surtout un excellent moyen de faire bouger les gens. Donc de lutter contre les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’obésité ou le surpoids, idéalement de façon sécurisée et dans un environnement le moins pollué possible. Mentionnons-le clairement dans nos documents d’urbanisme ! » s’exclame le Dr Alexandre Feltz, adjoint à la maire de Strasbourg (Bas-Rhin) en charge de la santé publique et environnementale. « Et n’oublions pas le péri-urbain et la ruralité », ajoute Vincent Bouchet, conseiller technique sportif Ufolep et référent national du programme Vélo pour tous.

Des villes cyclables donc, mais aussi « marchables », un concept que la capitale alsacienne, pionnière en matière de pistes pour le vélo, s’est également approprié, et qui passe par « des trottoirs élargis et la création de magistrales piétonnes », précise le Dr Feltz. Avec Rennes, Nantes, Dijon ou Metz, Strasbourg figurait ainsi en septembre au palmarès du premier Baromètre des villes marchables, qui a toutefois distingué la petite cité d’Acigné (Ille-et-Vilaine) et ses 7 000 habitants.

« Il faut créer sur l’espace public les conditions pour inviter chacun à bouger », résume Alexandre Feltz. Un enjeu que revendique aussi le design actif, concept en vogue qui vise justement à adapter et embellir l’espace urbain pour le rendre plus propice au mouvement en jouant sur l’effet incitatif.

La ville transformée en un vaste équipement sportif, Nantes Métropole en a fait un slogan : « Nantes Terrain de jeu ». « La démarche englobe les pratiques émergentes non compétitives de loisirs, de santé et de bien-être, explique Valérie Marqueton, responsable de l’événementiel sportif. L’objectif est de rendre l’espace public accessible pour tous les habitants, et qu’il réponde à leurs désirs de pratique libre. » Running sur les bords de Loire, musculation et gymnastique de plein-air sur l’une des trois aires dédiées dans la ville, ou encore glisse urbaine dans l’un des quatre skateparks et sur le site industriel reconverti des anciennes « Nefs » des chantiers navals. Sans oublier la slackline (marcher en équilibre sur une sangle tendue entre deux arbres), dont la pratique est possible sur six spots dédiés, ni l’escalade, pour laquelle un mur a été installé en cœur de ville à l’emplacement d’une ancienne carrière.

Skateparks et street workout

« Les collectivités doivent être à l’écoute, voire anticiper les besoins de leurs concitoyens », reprend Éric Kueny, dont la commune de Village-Neuf a successivement aménagé trois parcours d’orientation, un espace de fitness en plein air, des circuits de jogging et de promenade, ainsi qu’un terrain permanent de VTT utilisé à la fois par le club local, les écoles et les collèges, « ou tout autre pratiquant qui le souhaite ».

Adjointe aux sports à la ville d’Orsay (Essonne) et secrétaire générale de l’Ufolep, Élisabeth Delamoye constate elle aussi « une effervescence autour de ces espaces de pratique, utilisés aussi par des associations, à l’image des city-stades et des parcours de santé. L’aspect sport-sante apparaît d’ailleurs primordial. »

La cité tranquille de Château-Gontier (Mayenne) n’échappe pas au mouvement : « la demande en pratique auto-organisée est forte » et trouve à s’exprimer au parc de l’Oisillière, qui réunit circuit roller et vélo, city-stade, skatepark, boucle de running… « Sans compter, les habitants qui viennent s’entraîner seul, avec un coach personnel, ou dans le cadre d’un groupe créé sur les réseaux sociaux », se réjouit Vincent Saulnier, secrétaire général de l’Association nationale des élus en charge du Sport (Andes) et vice-président du Pays de Château-Gontier en charge de la jeunesse et des sports.

La demande « explose » tout autant à Bourges (Cher) selon les propres mots de la directrice des sports, Élise Gousseau-Brisset, qui détaille : « On nous demande des terrains de basket-ball 3x3, des agrès de fitness et de street workout, des courts de padel… » Le street workout ? Une pratique de rue de renforcement musculaire, cardio-training, étirements et fitness. Quant au padel, c’est du mini-tennis pratiqué en double entre des parois vitrées.

Ce nouvel intérêt pour les équipements de proximité se traduit dans les chiffres. Au premier semestre de 2021, « les collectivités territoriales ont réalisé en volume 68 % de la commande publique d’équipements sportifs, mais "seulement" 52% en valeur, relève Virgile Caillet. Cela signifie qu’elles ont prioritairement commandé des équipements plus légers, en accès libre ». Les bestsellers du moment sont les skateparks, les terrains de padel et les aires de street workout et fitness mentionnés plus haut, tandis que les city-stades demeurent « en stabilité sur ces dernières années ».

5000 équipements pour innover ?

Un nouvel appel d’air est attendu avec le plan des 5 000 équipements de proximité, initié par Emmanuel Macron fin 2021. Doté de 200 millions d’euros jusqu’en 2024 et piloté par l’Agence nationale du Sport (ANS), il cible les territoires carencés : quartiers politique de la ville (QPV), zones de revitalisation rurale (ZRR) et Outre-Mer. « C’est très dommage, car beaucoup de collectivités sont écartées », regrette Éric Kueny, dont la commune n’entre pas dans les cases. Un argument qui peut toutefois être relativisé face au coût relativement modéré de ces équipements : entre 30 000 et 40 000 € pour un playground de basket 3x3, 55 000 € pour un espace multisports ou un terrain de football 5x5. Pour du handball à 4, compter 50 000 €, et un peu plus pour du beach hand (80 000€). Dans le sillage du dispositif Savoir Nager impulsé par Roxana Maracineanu, il est même question de bassins d’apprentissage de la natation (de 80 000 à 120 000€).

« L’un des principaux intérêts de ce plan est d’ouvrir de nouvelles formes de collaboration entre collectivités, structures marchandes, associations et fédérations, observe Virgile Caillet. Aussi bien au niveau du financement que de l’exploitation future. » Patrick Appéré, président de l’Association nationale des élus en charge du Sport (Andes) est un peu moins enthousiaste : « Nous aurions préféré un vaste plan Marshall des équipements structurants, explique cependant Certes, le signal est intéressant. Mais il faudra aller plus loin et plus fort en complétant ce plan. »

En attendant, ces équipements dits en libre-accès le sont-ils vraiment ? Ou, plus exactement, le sont-ils à toutes et tous, filles et garçons, jeunes et ainés, valides et personnes en situation de handicap ? Comme l’illustre Catherine Léonidas, adjointe aux sports à la Rochelle (Charente-Maritime), « nous faisons tous ce constat d’une appropriation de ces espaces par les garçons. D’où l’importance de travailler sur des aspects comme l’éclairage et la mise à disposition de points d’eau, de douches et de vestiaires fermés dans tous les espaces de pratique. L’absence de ces éléments constitue autant de freins pour un accès des femmes et des jeunes filles. » À Nantes, « les équipements de street workout prennent en compte des aspects de la morphologie féminine, avec par exemple des barres de traction placées moins haut que pour les garçons », souligne toutefois Valérie Marqueton.

Cohérence et complémentarité

Entre les mobilités actives sur l’espace public, les pratiques sportives auto-organisées dans des espaces en libre accès ou des structures privées, et enfin la pratique associative fédérée accueillie par les équipements classiques que sont les stades, gymnases et autres dojos, les collectivités se retrouvent face à un défi de cohérence et de complémentarité. Comme le pointe la sociologue Marina Honta, le risque est d’aboutir à une « juxtaposition ou constellation de modalités hétérogènes de pratiques sportives ».

Virgile Caillet balaie en revanche tout risque de concurrence entre les pratiquants auto-organisés et l’offre en salle de sport privée. Il imagine plutôt des passerelles : « l’objectif reste d’inscrire l’activité physique dans le quotidien des Français et de faire grossir le nombre de personnes en activité. Et, à un moment ou un autre, ils passeront par une salle de remise en forme », estime le délégué de l’Union Sport&Cycle.

Le CTS de l’Ufolep Vincent Bouchet pointe pour sa part le risque de « déconnexion » des aménagements urbains ou péri-urbains : « Prenons l’exemple d’une piste de pumptrack, ces parcours en boucle fermée pour les VTT et BMX qui éclosent un peu partout. Dans combien de communes les enfants peuvent-ils emprunter une piste cyclable sécurisée pour s’y rendre ? Ça tombe pourtant sous le sens, non ? » Oui, au même titre que les fameux bancs publics pour inciter les aînés à marcher.

David Picot


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