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Sport : la transidentité trouble le jeu

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Dans un sport de compétition organisé depuis toujours en catégories hommes et femmes, les personnes transgenres bousculent aujourd’hui les repères. Pour sa part, l’Ufolep entend permettre à toute personne de concourir sous l’identité en laquelle elle se reconnaît.

 

Elle a remporté le 500 yards féminin des championnats universitaires américains (NCAA), mais la nageuse transgenre Lia Thomas a le sourire triste et désabusé, et son trophée semble l’encombrer. S’est-elle jamais sentie plus seule qu’à cet instant, tandis que les trois concurrentes arrivées derrière elle – dont la médaillée d’argent du 1500 mètres des Jeux olympiques de Tokyo, Erica Sullivan – composent sur la 3e marche du podium un trio alternatif et joyeux. Hors champs, le public ne leur ménage pas ses vivats, après avoir seulement accordé à la vainqueure quelques applaudissements polis. Un contraste qui l’exclut davantage encore.

Il y a deux ans, cette photo a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Elle résume en effet le dilemme de la participation aux grandes compétitions sportives de femmes transgenres, en raison de leur avantage physiologique supposé pour être nées et avoir grandi dans le corps d’un homme.

En dépit de l’hostilité d’une partie de ses paires, et dans un climat de guerre culturelle attisé par les conservateurs américains, Lia Thomas – membre de l’équipe masculine de l’université de Pennsylvanie avant d’obtenir le droit de concourir en tant que femme –, souhaitait participer aux qualifications pour les prochains Jeux olympiques. Mais on ne la verra pas à Paris car, en juin 2022, la Fédération internationale de natation excluait purement et simplement des compétitions les sportives transgenres, excepté celles n’ayant pas traversé la puberté masculine.

 

De Renée Richards à Cater Semenya

La polémique n’est pas neuve. Dans les années 1970, la tenniswoman transgenre Renée Richards suscitait le débat autour de sa participation à l’US Open. Plus récemment, celui-ci a été alimenté par les caractéristiques physiologiques de Caster Semenya, double championne olympique (2012 et 2016) et triple championne du monde du 800 m. En raison de son hyperandrogénie, la Sud-Africaine dût ensuite accepter de suivre un traitement pour abaisser son taux de testostérone, avant de s’y refuser quand la barre tomba de 10 à 5 nanomoles par litre de sang, renonçant ainsi à poursuivre sa carrière.

Aux Jeux olympiques de Tokyo, la norme de 10 nmol par litre de sang pendant un an fixée par le CIO permit cependant pour la première fois la participation de femmes ouvertement transgenres : la footballeuse canadienne Quinn, les Américaines Chelsea Wolfe et Alana Smith en BMX et skateboard, et surtout l’haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard, très médiatisée en raison de sa discipline. « La bonne nouvelle, c’est qu’elle n’a pas gagné les JO. Ça montre bien que ce n’est pas parce qu’on est une femme trans qu’on va forcément gagner la compétition », soulignait alors Manuel Picaud1, co-responsable de la fondation FIER et ex-coorganisateur des Gay Games Paris 2018.

« Il faut commencer par lever la barrière fausse d’une équité naturelle, où nous partirions tous d’une même ligne de départ, avec les mêmes qualités », observait également dans Le Monde le médecin et ex-vice-président de la Fédération française de rugby, Serge Simon. « Montrez-moi les preuves que partout les femmes trans acquièrent toutes les bourses d’études, dominent tous les sports et gagnent tous les titres. Rien de tout ça n’arrive, notait en juin 2022 dans Time Magazine la footballeuse américaine Megan Rapinoe. Donc nous devons commencer à être inclusifs, point. »

 

Du flou à l’interdiction

Toutefois ce n’est pas la tendance. Les règles se sont au contraire considérablement durcies, même si c’est en ordre dispersé puisque le CIO en délègue la responsabilité aux différentes fédérations internationales. En juin 2022, la Fina (natation) a ainsi voté l’interdiction aux femmes transgenres de participer aux courses Élite féminines, tout en annonçant son intention de leur réserver une nouvelle catégorie. « Je ne veux pas qu’on dise à un athlète qu’il ne peut pas concourir au plus haut niveau. Je vais mettre en place un groupe de travail pour créer une catégorie ouverte lors de nos compétitions. Nous serons la première fédération à le faire », se félicitait alors son président Husain Al-Musallam : une vision assez particulière de l’inclusion.

En juillet 2023, c’était au tour de l'Union cycliste internationale (UCI) d’adopter une règle similaire, quelques mois après la première victoire d’une athlète transgenre dans une course cycliste féminine internationale par étapes, au Nouveau-Mexique. Alors qu’elle autorisait jusqu’alors la participation des femmes trans en mesure de prouver et de maintenir sur la durée un taux de testostérone inférieur à 2,5nmol/l, l’UCI les renvoie désormais dans la catégorie « hommes », rebaptisée « hommes /open » car ouverte à « tout athlète ne remplissant pas les conditions de participation aux épreuves féminines ». « En d’autres termes, on demande à des femmes qui ont fait leur transition de concourir avec… des hommes », commentait Libération.

En mars, World Athletics avait fait encore plus simple en votant l’exclusion des compétitions féminines internationales des « athlètes transgenres hommes et femmes qui ont connu une puberté masculine ». Pour beaucoup des acteurs de l’athlétisme consultés, « les preuves que les femmes trans ne conservent pas un avantage sur les femmes biologiques sont insuffisantes », expliquait son président, Sebastian Coe. Ce qui en droit revient à inverser la charge de la preuve.

 

Le rugby français se distingue

À l’exception de disciplines atypiques comme le quidditch et le roller-derby, la plupart des fédérations internationales campent désormais sur cette ligne. C’est aussi le cas de World Rugby. Cependant, la fédération française (FFR) se distingue de l’instance internationale en autorisant depuis mai 2021 les femmes trans à prendre part aux rencontres de championnats féminins, si elles ont initié un changement d’état-civil et suivent un traitement hormonal depuis un an. Une évolution du règlement motivée par le cas d’Alexia Cerenys, 36 ans aujourd’hui, première rugbywoman transgenre à évoluer en Élite 1, dans les rangs du club féminin de Lons-Section Paloise. La commission anti-discrimination et égalité de traitement (Cadet) de la FFR a même organisé le 11 octobre, en pleine Coupe du monde, un symposium intitulé : « Le libre-arbitre dans le sport : comment le rugby s’ouvre aux personnes LGBTQIA+ ».

Pour s’y retrouver parmi ces approches à géométrie variable, la ministre des Sports et son homologue chargée de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations ont installé en novembre un comité d’experts. « En l’absence, sur ce sujet complexe, d’un consensus scientifique concernant notamment la mesure de l’impact d’une transition sur les critères de performance, les fédérations sportives se sont positionnées de manière diverse selon les disciplines, prenant parfois le contre-pied de leurs instances internationales, auxquelles le Comité international olympique (CIO) a proposé en 2021 un cadre non contraignant », disait le communiqué officiel pour résumer le contexte.

 

Mixité et sport loisir

Et le sport loisir ? Les polémiques concernant le haut niveau occultent en effet les réalités de terrain et font passer au second plan les valeurs sportives d’inclusion, de plaisir et de dépassement de soi pour se focaliser uniquement sur la performance et l’équité. « Dans la plupart du sport à destination des personnes trans et pour le grand public amateur, le sport genré n’est pas fondamentalement indispensable. On n’est pas obligé de reproduire le modèle olympique au niveau local quand on va jouer au foot le week-end. Jouer avec sa femme ou son compagnon, c’est assez plaisant, ludique », estimait en 2022 Manuel Picaud dans Ouest-France, jugeant que cela permettrait d’accueillir les personnes trans « sans qu’elles ne se posent la question de savoir dans quelle équipe elles vont jouer ». C’est le cas de clubs comme Les Dégommeuses3, qui toutefois font figure d’exception dans le paysage sportif.

Dans la même enquête de Ouest-France, le sociologue Philippe Liotard insistait sur l’enjeu de la pratique sportive pour les personnes trans, tant pour leur bien-être physique que leur socialisation. « Si elles sont en transition, ajoutait-il, c’est d’autant plus important pour équilibrer et réguler les traitements hormonaux qu’elles prennent. Mais pour ça, encore faut-il que le cadre soit bienveillant. Les personnes trans ne transitionnent pas pour gagner des médailles. En revanche, elles ont tout à fait le droit comme n’importe qu’elle personne d’accéder aux loisirs. »

 

L’Ufolep en accord avec ses valeurs

C’est aussi la philosophie de l’Ufolep, dont plusieurs comités ont été saisis la saison dernière de demandes formulées par des licenciés ayant effectué leur transition de changer de catégorie. En Finistère, après avoir évolué en féminine depuis son enfance, Baptiste, membre de la section badminton de l’amicale laïque, dispute ainsi cette année le championnat départemental masculin.

Autre exemple : en mai dernier, Hélène a pris la plume pour « remercier chaleureusement » son comité Ufolep et la fédération d’avoir validé son reclassement en 3e catégorie féminine : « Votre accord m’a offert de me remettre en selle, de retrouver le goût des entraînements avec la perspective de raccrocher un dossard, le tout avec un engagement sur les courses faites à mon prénom, dans mon genre, avec un niveau adapté à mes nouvelles capacités physiologiques. » Et la cycliste de préciser que si le niveau 3e catégorie reste actuellement « un ton au-dessus de [ses] capacités », elle préfère cela plutôt que de « devoir freiner pour éviter une victoire non méritée en 4e catégorie féminine ».

Tout en nourrissant des doutes légitimes sur la position qu’aurait affiché un Pierre de Coubertin sur la question, l’important est bien là de « participer ». Tout en étant soi-même, et en conservant le goût de la compétition.

Philippe Brenot

 

(1) Citation extraite de l’enquête de Tara Britton parue dans Ouest-France en 2022. La prestation de la joueuse canadienne Quinn, remplacée à la mi-temps de la finale victorieuse de son pays contre la Suède, passa en revanche inaperçue.

(2) FIER : Fondation Inclusion pour un Environnement Respectueux, sport & culture.

(3) Club de football LGBT+, plus largement engagé contre toutes les discriminations et affilié à l’Ufolep.


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