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Violences sexuelles dans le sport : « La parole a commencé à se libérer »

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Déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport, Fabienne Bourdais fait le point sur l’action engagée il y a deux ans à l’initiative de l’ancienne ministre Roxana Maracineanu. 

Fabienne Bourdais, votre mission consiste à mettre en place « la stratégie nationale de prévention et de lutte contre les violences dans le sport ». Et plus concrètement ?

Je rappellerai d’abord que la stratégie que je suis chargée de coordonner est issue de la volonté de la ministre et de la convention nationale de lutte contre les violences dans le sport organisée en février 2020. Cette stratégie repose sur quatre axes. Premièrement, le traitement des signalements des violences, notamment sexuelles, dans le sport. Deuxièmement, la mise en place du contrôle d’honorabilité des intervenants, et spécifiquement des bénévoles. Troisièmement, la généralisation de plans de prévention au sein des fédérations sportives, des établissements et des services déconcentrés du ministère des Sports. Enfin, quatrièmement, la formation des acteurs, là aussi à des fins de prévention.

Les chiffres rendus publics en mars lors de la 3e convention nationale sur le sujet font état, fin 2021, de 655 personnes mises en cause dans 610 affaires, dont 97% d’hommes. Ces chiffres vous ont-ils surpris ?

Il faut là aussi replacer ces chiffres dans un cadre chronologique. En matière de violences sexuelles, la première lanceuse d’alerte est l’athlète Catherine Moyon de Baecque en 1997. Dix ans après, la joueuse de tennis Isabelle Demongeot dénonce dans son livre « Service volé » les faits dont elle a été victime de la part de son entraîneur. La ministre des Sports, Roselyne Bachelot, engage alors une action et la plupart des fédérations signent une charte. Mais, à de rares exceptions près, cela n’est pas suivi d’effets. Puis, en décembre 2019 et janvier 2020 paraissent coup sur coup l’enquête internationale Disclose et le livre-témoignage de la patineuse Sarah Abitbol, dans un contexte marqué par le mouvement #metoo et la révélation d’abus sexuels au sein de l’équipe américaine de gymnastique et dans les clubs de football anglais. Roxana Maracineanu charge alors la direction des sports de mettre en place une cellule dédiée au recueil des signalements, avec une adresse1 où une victime, ses parents, des responsables de club ou une association ayant connaissance de faits peuvent témoigner. En leur donnant un cadre où s’exprimer – en plus de celui offert par des associations comme Colosse aux pieds d’argile – les victimes se sont senties davantage autorisées le faire. Après, nous sommes lucides sur l’ampleur du phénomène, qui dépasse vraisemblablement ce chiffre de 655 personnes mises en cause. Nous communiquons sur ce qui nous remonte. Or, en dépit des relais mis en place, des victimes n’ont pas encore parlé, et peut-être ne parleront jamais. C’est ce que mettent aussi en évidence les travaux de la Commission sur l’inceste et les violences faites aux enfants, créée en mars 2021 après la publication du livre de Camille Kouchner, « La Familia grande ». Donc non, je ne suis pas surprise.

Lors du débat qui a suivi la diffusion, le 11 mai sur France 2, du documentaire « Un si long silence » prolongeant le livre-témoignage de Sarah Abitbol, il a été fait mention d’une autre statistique : un sportif sur sept aurait subi des violences ou une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans. Parle-t-on de la même chose ?

La seule étude dont nous disposons en France, et dont les conclusions ont été rendues en 2009, a été réalisée à la demande de Roselyne Bachelot par des chercheurs de l’université de Bordeaux, dont Greg Decamps, qui était présent sur le plateau de l’émission. Elle a mis en évidence des chiffres de cet ordre (plus de 11 % et jusqu’à 13 % pour les sportives), qui concordent avec d’autres travaux menés à l’étranger2. Mais non, il ne s’agit pas tout à fait de la même chose : cette statistique de 1 sur 7 renvoie à des faits qui ne sont pas seulement commis par des encadrants, mais aussi par des pairs, et notamment entre mineurs. L’étude de 2009 montrait que plus de la moitié des violences déclarées relevaient de violences entre sportifs. Rappelons à ce propos qu’au ministère nous ne traitons pas des violences entre sportifs, qui relève de la responsabilité des fédérations, mais celles impliquant des éducateurs, et plus généralement de l’encadrement des sportifs.

Selon vos remontées, 54 fédérations sportives sont concernées, soit la moitié de celles agréées par le ministère. Certaines disciplines ou familles d’activité sont-elles toutefois plus représentées ?

Oui, mais nous ne communiquons pas sur les fédérations qui ont le plus de signalements. Non par refus de transparence, mais parce que cela n’est pas pertinent, pour deux raisons. D’une part, plus des affaires sont médiatisées dans une discipline – comme le patinage ou l’équitation –, plus grand est le nombre de signalements, par phénomène d’identification. D’autre part, ce serait pointer du doigt des fédérations volontaristes et pro-actives, qui ont mis en place des dispositifs pour que la parole se libère en leur sein, ce qui se traduit là aussi par un nombre de signalements plus important.

Et les fédérations affinitaires et multisports ?

Peu de signalements remontent par leur canal. Toutefois, bon nombre de leurs licenciés le sont aussi d’une fédération délégataire. D’où l’intérêt de la désignation d’une personne référente sur les violences sexuelles au sein de chaque fédération. Cette demande de la ministre visait notamment à répondre à la critique formulée – à juste titre – par des présidents de fédérations : on leur reprochait de n’avoir pas réagi à certaines affaires alors qu’ils n’avaient pas été informés des procédures concernant leurs licenciés. Avec ce réseau des référents, dès qu’une mesure d’interdiction d’exercer est prise à l’encontre d’un éducateur, non seulement la fédération en est informée, mais également toutes les fédérations multisports au sein desquelles il est susceptible de pratiquer et d’encadrer. La fédération peut alors engager sa propre procédure.

Il apparaît que 89% des faits dénoncés concernent des violences sexuelles. Par ailleurs, 79% des victimes sont de sexe féminin, 84% étaient mineures au moment des faits et 40% avaient moins de 15 ans. Mais quelle est la gravité de ces faits ?

Il y a évidemment des distinctions, mais la qualification pénale relève des seules autorités judiciaires. Ces violences sexuelles vont jusqu’au délit et au crime, c’est-à-dire jusqu’au viol. Mais je ne suis pas en capacité de dire ce que représentent les infractions les plus graves par rapport aux autres. D’abord, toutes ont un caractère de gravité. Ensuite, lorsque des personnes dénoncent les faits dont elles sont victimes, elles parlent parfois d’agressions sexuelles alors qu’il s’agit juridiquement de viols. Nos statistiques correspondent au signalement initial qui déclenche la procédure, et pas forcément à la qualification finale de ces actes.

De quelle nature sont les autres violences répertoriées ?

Elles relèvent de violences physiques et psychologiques, notamment du harcèlement et du cyber-harcèlement. C’est par exemple un éducateur sportif qui envoie des messages à connotation sexuelle, et entretient ainsi une relation inappropriée entre un adulte et un mineur par le biais de SMS ou de boucles WhatsApp.

Le contrôle de l’honorabilité des bénévoles et encadrants de mineurs doit permettre d’écarter, par croisement de fichiers, toute personne déjà condamnée pour des infractions sexuelles ou violentes. Mi-février, 68 fédérations l’avaient mis en œuvre, avec 341 000 bénévoles recensés sur un total de près de 2 millions. Y a-t-il parfois des réticences à le mettre en place ? Ou des difficultés techniques ?

Les deux peuvent exister. Des difficultés techniques résident dans l’incompatibilité des fichiers des fédérations avec le Fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais), lequel dépend du ministère de la Justice. C’est pourquoi nous les accompagnons techniquement. Ensuite, il arrive que des personnes s’étonnent, en tant que citoyen, que l’administration réalise des fichiers nominatifs, considérant que le croisement de données personnelles est une atteinte aux libertés. Mais l’argument n’est pas recevable. La mise en place du contrôle d’honorabilité a fait l’objet d’un travail règlementaire qui autorise, dans le respect de la protection des données personnelles et après avis de la Commission nationale informatique et liberté (Cnis), le croisement de ces fichiers.

Vous avez créé sur la plateforme numérique Genially un module de formation grand public : est-il utilisé ?

Il est trop tôt pour la savoir car il n’est en ligne que depuis mars. Ce module répond à un besoin exprimé par les fédérations, qui expliquaient manquer de personnes et d’outils pour former leurs cadres et sensibiliser les parents. Il donne des repères pour mieux comprendre et identifier les situations de violences et adopter les bons comportements. Plus il sera connu, plus il sera utilisé !

La parole s’est-elle aujourd’hui libérée dans le sport ?

Les chiffres vont en ce sens : entre 2010 et 2020, une vingtaine de mesures d’interdiction d’exercer pour des faits de violences ont été prises par les préfets de département après enquête des services du ministère chargé des Sports ; depuis 2020, on en est à 300. Donc oui, la parole a commencé à se libérer, et elle est entendue, même s’il reste toujours difficile pour une victime de parler.

Et le milieu sportif en a-t-il fini avec la culture de l’omerta ?

Au sein des fédérations, au niveau national, je le pense. Mais je n’irai pas jusqu’à affirmer que tous les clubs sont sensibilisés à la lutte contre les violences dans le sport et enclins à engager des démarches en ce sens. Pas seulement parce que certains se refusent à parler de ces choses-là, mais parce que des bénévoles et certains professionnels ne se sentent pas armés pour accompagner et traiter cette libération de la parole. Ce travail de proximité est essentiel.

S’agit-il aussi d’une question de génération, voire de féminisation ?

Une plus grande mixité, avec une féminisation et une diversité générationnelle dans l’organisation et l’encadrement des pratiques ne peut en effet que contribuer à la prévention. Concernant la libération de la parole, on constate aussi que les signalements concernent désormais des faits récents alors qu’au début il s’agissait principalement de faits anciens. Nous nous efforçons aussi de toucher le grand public, c’est-à-dire les pratiquants eux-mêmes et les parents. C’est d’abord dans l’environnement de la pratique – vestiaires, déplacements, hébergements lors de stages – que les violences sexuelles sont commises. On a toléré et on tolère encore parfois des pratiques et des comportements qui n’ont pas lieu d’être dans des structures qui devraient être des lieux de bienveillance et de protection des mineurs. L’objectif, en matière de prévention, est donc aussi de sensibiliser les parents pour qu’ils se posent des questions sur la façon dont les enfants sont pris en charge dans le cadre de leur pratique sportive.

Propos recueillis par Philippe Brenot

(1) signal-sports@sports.gouv.fr

(2) « Même si les comparaisons sont difficiles pour des raisons méthodologiques, notamment liées à la définition des violences dans la diversité de leurs formes et à la typologie du public enquêté », précise Fabienne Bourdais.


La boîte à outils du ministère des Sports
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