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Sabrina Sebaihi, comment remédier aux défaillances des fédérations sportives ?

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La députée Les Écologistes a présenté en janvier un rapport édifiant sur les manques des fédérations sportives en matière de violences sexuelles et de discriminations. Retour sur la démarche et les réactions suscitées.

 

Sabrina Sebaihi, pourquoi le groupe Écologiste-Nupes de l’Assemblée nationale a-t-il exercé en juin 2023 son « droit de tirage » pour initier une commission d’enquête sur les « défaillances de fonctionnement » des fédérations sportives ?

J’ai proposé cette commission d’enquête à mes collègues après avoir été alertée par des parents sur les problèmes rencontrés par leurs enfants avec leur entraîneur – plutôt de l’ordre de la brimade. En effectuant alors un travail de recherche et en compilant les articles et enquêtes parus sur les violences sexuelles ou sexistes, les discriminations racistes et homophobes et les questions financières et de gestion, nous avons pu mesurer leur nombre considérable et l’ampleur de ces problèmes. L’autre raison est l’actualité des Jeux olympiques et paralympiques : il nous a semblé que c’était le moment ou jamais d’aborder ces sujets. Enfin, c’était l’occasion d’affirmer que les valeurs du sport sont en lien avec celles que porte l’écologie politique aujourd’hui.

 

Les défaillances identifiées ont trait à la gouvernance, à la gestion financière et à la prévention et la lutte contre les violences et les discriminations. Pourquoi un périmètre aussi large ?

Nous avons beaucoup débattu de ce périmètre et, progressivement, nous nous sommes davantage focalisés sur les violences sexuelles et moins sur la partie financière, qui aurait bien exigé six mois de plus ! Mais il est apparu que les causes conduisant à ces dérives et ces défaillances sont systémiques et tiennent à la gouvernance : manque de contrôle d’un côté, absence de volonté de certaines fédérations d’avancer sur ces questions de l’autre. Quel que soit le type d’affaire, on retrouve aussi les mêmes mécanismes, dans un milieu où tout le monde se connaît et où l’on se protège l’un l’autre. Même si ça s’est avéré un travail colossal, nous avons donc conservé ces trois champs des violences sexuelles et sexistes, des discriminations racistes et homophobes et des questions financières.

 

Adjointe au maire d’Ivry-sur-Seine, le sport ne figurait pas parmi vos compétences : quelle connaissance du milieu sportif aviez-vous jusqu’alors ?

J’ai pratiqué un temps le tir à l’arc à l’Union sportive d’Ivry, mais c’est tout ! Cela m’a donc demandé beaucoup de travail pour comprendre le fonctionnement du monde sportif : les fédérations, les ligues, les clubs, le Comité national olympique et sportif, l’Agence nationale du sport, le principe de délégation… Cela fait beaucoup de rouages et d’entités, et j’y ai passé mon été ! Mais ce regard très extérieur m’a permis d’aborder ce dossier de manière moins passionnelle et peut-être plus objective que des personnes qui connaissent trop intimement le milieu sportif et ses dirigeants.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ces 130 heures d’audition, lors desquelles vous avez entendu 193 personnes ?

La puissance des témoignages des victimes. Notre choix a été de commencer par entendre celles-ci, afin d’interroger ensuite les fédérations sur les réponses apportées et ce qui avait conduit à des défaillances. Cela a soudé les membres de la commission d’enquête, qui ont vraiment eu une approche transpartisane, hors de toute posture politique. Nous avons tous pris conscience de la gravité de ce qui s’est passé et se passe encore. Cela nous a poussé collectivement à aller au bout de ces auditions. Si nous avons pu paraître un peu durs auprès de certains dirigeants, nous avons été choqués de constater que certains d’entre eux n’avaient toujours pas pris conscience de la gravité des faits rapportés, ni même pris connaissance des auditions, ce qui interroge de la part de hauts responsables d’une fédération. Parfois aussi les réponses étaient hors sol, ou n’en étaient pas. Cela nous a conduit à faire un certain nombre de recommandations1.

 

Le président du Comité national olympique et sportif français, David Lappartient, a d’emblée mis en doute la légitimité de votre commission d’enquête2, puis la ministre des Sports a jugé le rapport « militant3 »…

Le premier nous a adressé un courrier avant même que le début de nos travaux : on est là dans l’a priori, et sans doute ignore-t-il que les parlementaires ont pour rôle de contrôler l’action du gouvernement et que nous sommes dans celui-ci dès lors que les fédérations ont une délégation de service public et doivent donc rendre des comptes.

De la part de la ministre, je trouve cela extrêmement grave. C’est balayer d’un revers de main un rapport de 300 pages et des témoignages où le mot qui est le plus souvent revenu est celui d’omerta. Je le répète, ce rapport est transpartisan et j’étais la seule élue écologiste de la commission. Certes, j’avais la plume, mais le rapport a été approuvé par tous les parlementaires qui y ont participé – à l’exception du Rassemblement national, qui a quitté la commission en cours de route et a voté contre à la fin. La ministre nie ainsi la réalité du problème systémique caractérisé par la relation ambivalente entre le ministère des Sports et les fédérations : celui de la faiblesse d’une tutelle qui ne s’exerce pas comme elle le devrait, avec des contrats d’objectifs trop vagues ou trop peu ambitieux et un contrôle insuffisant4. J’observe que la Cour des Comptes, entité peu suspecte de militantisme, pointe elle-même un système de « portes tournantes » entre les fédérations, le ministère et le CNOSF, où les mêmes personnes tournent entre ces trois entités. Pour en revenir aux fédérations, il apparaît que certaines ont envie d’agir mais n’en ont pas les moyens, quand d’autres semblent incapables de se réformer et ne montrent aucune envie d’agir.

 

Le rapport pointe, entre autres, « une gouvernance caractérisée par l’entre-soi et un défaut de culture démocratique », « des garde-fous insuffisants contre les dérives financières et les atteintes à la probité » et « l’échec de l’autorégulation dans le combat éthique », en pointant sur ce dernier point « l’absence » du CNOSF. Le tableau est-il si noir ?

S’il apparait très noir, c’est parce que nous nous sommes concentrés sur ce qui ne va pas. Or le sport fédéral en France c’est 17 millions de licenciés, 3 millions de bénévoles, 160 000 clubs. Roxana Maracineanu, précédente ministre des Sports, a également donné une forte impulsion à la lutte contre les violences sexuelles. Mais, concernant celles-ci, je continue de recevoir de très nombreux témoignages de victimes sur la difficulté de s’exprimer ou sur les entraves à la menée des enquêtes. Le rapport peut paraître dur, mais après l’écoute des victimes et les réponses de certains dirigeants, qui reconnaissent avoir entendu des bruits de couloirs au sujet de violences exercées par un entraîneur sans chercher à en savoir plus jusqu’à ce qu’elles soient médiatisées, on ne peut qu’être choqué. Le constat est peut-être dur, mais il est à la hauteur des témoignages et des auditions.

 

Vous pointez les discriminations racistes et homophobes et la haine affichée dans les tribunes des stades : mais que peuvent faire les fédérations ?

La prévention du racisme, il en est question depuis les années 1980. Mais sans grand effet, car comme l’exprime fort bien Lilian Thuram, il faut d’abord « déconstruire » les mécanismes qui conduisent aux discriminations. On a vu les polémiques autour du brassard arc-en-ciel que les footballeurs professionnels – qui, qu’on le veuille ou non, sont des modèles et des relais d’opinion – ont été invités à arborer en soutien à la lutte contre l’homophobie. Mais encore faut-il au préalable expliquer dans les clubs que l’homophobie tue. Et puis il faut aussi des sanctions : vider les tribunes, arrêter les matchs ou les retransmissions en cas de cris de singe ou d’insultes racistes, et interdire de stade ceux qui commettent ces délits – et de tous les stades, pas seulement celui du club dont ils s’affirment supporters. Mais puisque certains voient encore les chants homophobes comme du folklore…

 

Parallèlement à votre commission d’enquête, un comité co-présidé par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana avait été initié par Amélie Oudéa-Castéra « pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport ». Partagez-vous ses conclusions et propositions, présentées le 7 décembre dernier ?

Oui, en particulier concernant la création d’une autorité administrative indépendante. La ministre y est opposée alors que tous les rapports convergent pour demander la mise en place d’une autorité indépendante habilitée à traiter des violences et discriminations dans le sport, sur le modèle ce qui a pu être fait pour le dopage avec l’AFLD. Cela manque cruellement aujourd’hui.

Nous avons été plus loin que le comité sur certains champs, comme le contrôle d’honorabilité, en demandant de contrôler aussi le casier judiciaire et pas seulement le Fijais (Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, NDLR). J’observe d’ailleurs que depuis des efforts ont été faits pour améliorer la visibilité de la plateforme Signal sport, restée jusqu’alors méconnue du grand public. De son côté, le comité a beaucoup travaillé sur le renouvellement démocratique des fédérations. Nos travaux ont été complémentaires – nous les avons d’ailleurs auditionnés et pu échanger avec eux sur les auditions que nous avons respectivement menées – et nos conclusions se recoupent largement.

 

Propos recueillis par Philippe Brenot

 

(1) Le rapport en formule 60.

(2) Dans ce courrier du 19 juillet 2023, David Lappartient s’interrogeait sur « les objectifs recherchés » et les « finalités exactes » de la commission d’enquête, sur la proximité temporelle avec les Jeux olympiques et paralympiques, et voyait là une volonté de « porter un nouveau coup au modèle associatif français ».

(3) Le rapport pointait par ailleurs le montant de son salaire de directrice générale de la Fédération française de tennis, poste qu’Amélie Oudéa-Castéra occupait avant sa nomination en mai 2022.

(4) Au premier rang des « défaillances systémiques » ciblées par le rapport figurent celles de l’État dans son rôle de « garant de l’intérêt général ».


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