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Emmanuel Benoit, prévenir l’addiction aux jeux d’argent

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La digitalisation et l’explosion des paris sportifs ont accru les ravages du jeu excessif, explique le directeur de l’Arpej, Association pour la recherche et la prévention du jeu excessif. Avec une question subsidiaire : les sportifs sont-ils un public à risque ?

 

Emmanuel Benoit, l’Arpej se consacre à la prévention des excès du jeu. Mais de quels jeux ?

Tous les jeux d’argent, qu’ils soient de pur hasard (loto, grattage, machine à sous), d’expertise (PMU, paris sportifs, poker) ou de casino (roulette, black jack), on line ou « en dur ». Notre vocation est triple : apporter un éclairage sur les problématiques de jeu par la recherche, faire de la prévention et apporter une réponse en distanciel aux joueurs qui perdent le contrôle. Ce sont les trois pôles autour desquels nous sommes structurés.

 

Quels sont les publics les plus concernés ?

Le jeu excessif, avec perte de contrôle, concerne toutefois davantage les hommes. Par ailleurs, selon l’étude nationale « En-Jeu mineur » menée auprès des 15-17 ans, 35% d’entre eux pratiquent des jeux d’argent, et ils sont proportionnellement beaucoup plus touchés par le jeu excessif que les adultes.

 

Quels sont les ressorts psychologiques de l’addiction au jeu ?

Une addiction se constitue autour de trois éléments : un produit ou un comportement addictif, un environnement favorable au développement de l’addiction, et enfin une personne en situation de vulnérabilité. C’est le triptyque de l’addiction, avec une part variable de chaque élément selon les cas. Le joueur se retrouve piégé lorsqu’il pense qu’il va pouvoir récupérer ses pertes et se refaire, ce qui est une illusion. Il chasse le gain et s’enfonce alors dans l’addiction.

 

Y a-t-il différents types de joueurs ?

Selon les types de jeux, on retrouve plusieurs profils. Les jeux d’expertise, comme les paris sportifs, vont attirer ceux qui, justement, se croient « experts » et pensent pouvoir maîtriser le hasard ou être plus forts que l’opérateur. Certains jouent aussi par sociabilité, avec pour moteur l’émulation entre pairs. Quant à ceux qui pratiquent les jeux de pur hasard, ils sont poussés à l’excès par des pensées et croyances erronées : ils croient par exemple que, tôt ou tard, une machine à sous va finir par « cracher », ce qui est méconnaître totalement leur fonctionnement.

 

Les sportifs sont-ils un public plus à risque, parce que susceptible de vouloir retrouver l’adrénaline de la compétition ?

Cela peut en effet être le cas, en particulier pour d’ex-sportifs blessés ou déçus par leur sport, et qui sont alors tentés de retrouver des émotions qu’ils vivaient auparavant sur le terrain. Ils croient aussi pouvoir s’appuyer sur leur connaissance du jeu pour faire le bon pronostic.

 

L’excès de jeu est-il directement lié au fait de miser de l’argent ?

En retirant l’argent des jeux de hasard, on résoudrait une grande partie du problème, c’est évident ! Mais les conséquences ne sont pas seulement financières, mais aussi sociales. Obnubilé par le jeu, le joueur excessif passe moins de temps avec ses proches, se montre irritable, agressif, et développe une personnalité narcissique : une auto-valorisation qui va l’amener à perdre le contrôle, justement parce qu’il croit être si fort, si intelligent, qu’il ne peut pas perdre… Néanmoins, l’endettement reste la problématique qui entraîne tout le reste. La personne en phase de « chasing », qui chasse le gain pour se refaire, en vient à penser qu’elle n’a plus que cette solution pour résoudre ses problèmes. C’est ce qui provoque l’endettement, dans une forme de pratique obsessionnelle. Suivra une phase mélancolique, dépressive, avec des conséquences d’ordre familial – séparation, divorce – et sanitaire, avec parfois des tentatives de suicide. 

 

La médiatisation du football et la digitalisation de la société ont nourri le développement exponentiel des paris sportifs…

Oui, mais pas seulement le football. Le rugby ou le tennis sont aussi des sports à fort vecteurs de parieurs. Et le e-sport désormais ! Le développement des paris sportifs est préoccupant, avec ces publicités où apparaissent d’anciens grands sportifs, leur supposée expertise laissant penser que le hasard n’existe pas. Et la digitalisation permet une accessibilité de l’offre 24h/24h, quel que soit le lieu où vous êtes, ce qui n’était pas le cas avant.

 

En quoi consistent vos actions de prévention ?

Nous avons élaboré un programme baptisé Opéra, inspiré du dispositif québécois « Bien jouer ». Il consiste en quatre séances d’intervention d’un peu plus d’une heure chacune, auprès du public cible des 16-19 ans : lycéens, jeunes sportifs des clubs ou des Creps... Ce travail sur les compétences psychosociales vise par exemple à leur faire prendre conscience du caractère très aléatoire des paris sportifs, à garder un esprit critique et être conscient du risque de perte de contrôle. Nous abordons aussi les notions de probabilités, de hasard, et expliquons très concrètement ce qu’est « l’indépendance des tirages et des tours ».

 

L’indépendance des tirages ?

Imaginez un énorme cylindre rempli de milliers de billes blanches perdantes et d’une bille rouge gagnante. Lorsqu’une bille perdante sort, elle est réinjectée dans le tirage suivant et non pas mise de côté. Ainsi fonctionnent les machines à sous. Avoir perdu une fois, dix fois, cent fois, n’augmente donc aucunement la probabilité de gagner la fois suivante : le croire, c’est ce qu’on appelle une « pensée erronée ». Il faut aussi savoir que le taux de retour, c’est-à-dire le pourcentage de redistribution de l’argent, est toujours inférieur à 100% et que, dans tous les jeux d’argent, sur le long terme c’est l’opérateur le gagnant !

 

Comment fonctionne votre service d’écoute à distance ?

SOS-joueurs qui s’en charge, avec une psychologue qui répond aux questions des joueurs ou de leur entourage et peut les orienter vers un Csapa, un Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie. Nous travaillons aussi à l’adaptation d’une offre de soin on-line importée de Suède et développée aussi en Finlande et en Angleterre : une thérapie en distanciel qui obtient le même niveau de résultats qu’en face à face.

 

Êtes-vous à la recherche de partenaires ?

Oui, afin de réussir à toucher au moins 150 000 jeunes sur cinq ans : un objectif ambitieux pour nous, mais qui reste modeste au regard des 1,4 million de joueurs ayant un problème avec les jeux. Nous souhaitons aussi former des animateurs relais pour déployer le plus largement notre programme Opéra.

 

Lors du dernier Mondial de foot, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis a déployé une campagne d’affichage mettant en garde les jeunes contre les dangers de l’endettement lié aux paris sportifs : est-ce une démarche que vous encouragez ?

Il s’agit là « d’information préventive » et non de prévention à proprement parler. Celle-ci n’en est pas moins nécessaire, et l’on peut regretter que les campagnes sur le jeu excessif ne soient ciblées que sur les grandes compétitions, à la différence de ce qui se fait en Italie ou en Australie, qui est le pays le plus joueur de la planète. Je milite pour des campagnes de ce type, à l’image de celles sur l’alcool et le tabac. Face à l’évolution préoccupante des problématiques de jeux d’argent chez les jeunes, cette information préventive est indispensable, sans toutefois être suffisante.

 

De l’EPS à la psychologie du jeu excessif

Emmanuel Benoit, 60 ans, est directeur général de l’Arpej, Association de Recherche et de Prévention des Excès du Jeu, née en janvier 2023 d’une fusion avec SOS-joueurs. Professeur d’EPS, il enseigne vingt ans à Dijon au sein de la Sedap (Société d’entraide et d’action psychologique), structure spécialisée dans l’accueil des personnes sujettes aux addictions dont il devient directeur adjoint puis directeur après trois ans de formation à l’École des hautes études en santé publique de Rennes. Spécialiste des problématiques des jeux d’argent, Emmanuel Benoit fut notamment consulté par l’Assemblée nationale pour l’élaboration de la loi sur les jeux en ligne de 2010.

L’Arpej propose « un continuum entre recherche, prévention et soin » et est financée par un fonds de dotation qui agrège mécénat (de la part des opérateurs de jeux et d’autres entreprises), dons privés et subventions publiques.  Son action est orientée par un conseil consultatif et scientifique et son siège établi 11 rue Trochet, Paris 8e, dans des locaux partagés avec la Ligue française pour la santé mentale, qu’Emmanuel Benoit dirige également.


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