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Je me souviens du sport : Manuel Schotté

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Dans le droit fil de ses travaux sur le talent et le charisme, Manuel Schotté, 48 ans, professeur de sociologie à l’université de Lille, a récemment publié La Valeur du footballeur (CNRS éditions, 324 p, 25 €), où il répond à la question : « Qu’est-ce qui explique que des "exécutants", issus pour majorité des classes populaires, se voient attribuer une telle valeur économique et symbolique ? »

Je me souviens du quart de finale de la Coupe du monde de football masculin en 1986. Je suis avec mes parents à une kermesse scolaire. Une télé a été installée. Je ne décroche pas de la soirée, captivé par le match. L’assistance est sporadique mais lors de la séance de tirs au but, tout le monde est réuni. Vient le tour de Platini. L’ambiance se détend. Des personnes se détournent de l’écran. Car c’est sûr, Platini va marquer. Platini ne peut pas rater. Il expédie finalement le ballon loin au-dessus du cadre.

Je me souviens du jour où j’ai ressenti, intimement, avant de pouvoir poser des mots dessus, ce qu’est une classe sociale. J’arrive à l’entraînement de foot avec Mustapha. Nous sommes en avance et nous regardons des joueurs de tennis. Soudain, une balle passe par-dessus la grille qui entoure le court. Mus’ et moi nous amusons avec celle-ci. Quelques passes et quelques jonglages avant de la retourner aux joueurs. Mais trop tard, l’un d’eux se rue déjà vers nous. C’est le fils d’un des plus gros commerçants de la ville. Il m’attrape par le col et me lance, menaçant : « Rends-moi ma balle. Le tennis, c’est pas pour les pauvres. »

Je me souviens de l’arrivée soudaine du basket NBA dans le paysage sportif. Alors que mes copains et moi n’avions jamais entendu parler de cette ligue professionnelle, il a suffi de quelques mois pour que nous ne jurions plus que par Michael Jordan.

Je me souviens de ma première course, le cross interclasses en 6ème. A l’issue de l’épreuve, un entraîneur vient me voir et me propose de rejoindre son groupe. Quand le soir je raconte l’épisode à mon frère aîné, il ne me laisse pas le choix : « Quoi ? Monsieur Untel veut t’entraîner ? Tu sais que son fils a été champion de France ? Tu dois y aller ! ». Dès le mercredi suivant, je me rends à l’entraînement. Des semaines, des mois, des années durant, je me soumets à l’autorité de ce coach implacable. Les résultats arrivent vite et avec eux les articles dans la presse locale. Un jour, il dit à ma mère : « votre fils est fait pour courir. Il n’a pas de cul ».

Je me souviens de mon trouble lorsque je suis confronté à des coureurs de tout premier plan mondial durant ma thèse. Je suis à chaque fois gagné par la même impression d’étrangeté. Comme s’ils n’étaient pas réels. Comme si ce n’était pas les champions dont j’avais suivi les exploits à distance qui étaient en face de moi. Je ne parviens pas à me faire à l’idée que des êtres si grands sportivement peuvent être plus petits que moi en taille.


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