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"Je me souviens du sport": Shane Haddad

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Fraîchement diplômée du master de création littéraire du Havre, Shane Haddad, 25 ans, a publié en janvier son premier roman, Toni tout court (POL) récit d’errance parisienne d’une jeune femme le jour de son vingtième anniversaire. Il est beaucoup question du corps et du rapport aux autres durant cette journée tournée vers le match de football auquel elle doit assister le soir.

 

Je me souviens du corps de mon enfance. Il ne se sent pas, il ne souffre pas.  Simplement il ingère, reçoit, il court, saute, se cogne, glisse.

Je me souviens de la sueur qui perle sans déranger.

Je me souviens des blessures qui étonnent, qui surprennent, qui forcent l’étude et l’observation, en même temps que les larmes et la tendresse. Je me souviens de la légèreté, de la sincérité. Du corps au présent, tout à fait.

Je me souviens du corps qui devient fille. Du corps en attente, du corps timide, silencieux, qui n’ose pas, qui n’intervient pas. Du corps qui ne parle pas, qui ne parle plus.

Je me souviens de la jupette. Jupette de tennis. Qui virevolte sous les yeux étrangers et inconnus. Jupette qui laisse entendre, qui laisse voir. Jupette qui suggère pour une jeune fille au corps raide et sec et petit et inachevé. Au corps sans sexe. Cheveux longs et jupette parlent à la place de mon corps.

Je me souviens du corps adolescent. Celui qui dit : tu seras une femme. Celui qui ne fait voir que lui. Quand on aimerait ne plus.Le corps qui bouge sans arrêt. Qui explose qui contient et qui souffre. Le corps de la contradiction. Ce n’est plus elle, ce sont elles.  Un seul même corps.

Je me souviens des corps des garçons. Ils volent et trépignent et s’esclaffent. Contre nos corps qui espèrent. Qui admirent.

Je me souviens de la formation des équipes. De la très entendue faiblesse des filles qui désespérément ne sont pas choisies. Désespérément, elles ne valent pas le coup. Désespérément, elles n’auront pas la balle. Désespérément, elles auront leurs règles, leurs poils, leur honte. Et secrètement, elles se diront, en attendant la voix providentielle qui les choisiront : pourtant j’étais comme vous avant.

Je me souviens de l’éteinte. De la disparition. De ne plus vouloir, de ne plus pouvoir, même, peut-être. De laisser le corps exister seul. De ne plus le regarder, de ne plus l’observer, l’étudier. De ne plus vouloir le connaître. Qu’il se meuve seul, ce corps, je n’en veux plus.

Je me souviens du corps qui revient à moi. Je me souviens de ne plus avoir le choix. De devoir vivre sa force. De comprendre sa voix, son murmure, son mouvement. De saisir que sans lui, il n’y a rien. Je me souviens de cerner son étrangeté. Et dans son étrangeté, de le sentir ingérer, recevoir, courir, sauter, se cogner, glisser.

Éprouver, mais différemment.


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