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William Gasparini : « il y a plusieurs socio-sports »

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Sociologue et professeur en Staps à l’Université de Strasbourg, William Gasparini a dirigé en 2008 un numéro de la revue Sociétés contemporaines1 sur le thème de « L’intégration par le sport ». Il revient sur l’origine du concept de « socio-sport », sur son appropriation par l'Ufolep et sur les différentes conceptions des acteurs qui s’en réclament.

William Gasparini, quelle est l’origine du terme et du concept de « socio-sport » ?

Des dispositifs à caractère socio-sportif sont développés à partir des années 1980 mais le terme de socio-sport n’apparait que dans les années 1990. Il se diffuse ensuite dans les années 2000 comme une nouvelle catégorie, notamment dans les Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives). Devenu aujourd’hui un label, il est utilisé par l’ensemble des acteurs sportifs et figure jusque dans l’intitulé de thèses universitaires. Et, parmi ces acteurs, l’Ufolep fut l’une des premières organisations à se l’approprier.

Pourquoi émerge-t-il dans les années 1990 ?

Dans les années 1980 émerge tout d’abord l’idée d’utiliser le sport avec des visées sociales. On parlait alors de « sport pour tous », de « sport insertion » ou de « sport intégration ». Il faut se replonger dans le contexte : la gauche arrive au pouvoir et crée un ministère du Temps libre intégrant la Jeunesse et les Sports, les premières émeutes urbaines éclatent durant l’été 1981 dans le quartier des Minguettes à Lyon, et l’on enregistre les premiers effets du regroupement familial lié à l’immigration, sur fond de hausse du chômage et d’émergence du Front national. On songe alors à utiliser le sport pour « occuper » les jeunes et pacifier les banlieues, tout en développant chez eux des « valeurs citoyennes » et en favorisant leur « socialisation ». C’est un peu plus tard que l’on commence à parler de socio-sport, pour désigner une forme d’expertise qui renvoie aussi à une pratique. Ce terme désigne aujourd’hui des dispositifs variés, car il n’y a pas un seul socio-sport.

Tous les acteurs qui s’en réclament n’en ont pas la même conception ?

Non, pas du tout. L’idée du socio-sport, c’est que la pratique sportive y est au service du social et que, si d’habitude on attendait que les jeunes – ou d’autres populations – viennent au sport, là il faut aller les chercher. Il s’agit de publics exclus ou désaffiliés, par rapport au sport mais aussi par rapport aux autres institutions : ce sont aussi des décrocheurs scolaires ou des personnes hors de l’emploi. Les amener vers la pratique physique et sportive doit leur permettre de retrouver le chemin de la réussite et de l’insertion sociale et professionnelle. Cette idée que le sport permet d’« affilier » est une croyance partagée par tous les acteurs du champ du sport social. Mais ensuite, d’une organisation à l’autre les conceptions varient. Une fédération unisport classique n’aura pas la même approche que l’Ufolep. Le parcours personnel des éducateurs joue aussi : on y trouve à la fois des sportifs reconvertis dans le social et des éducateurs sociaux. Ces derniers utilisent le sport comme un outil sans toujours bien le connaître, tout comme le titulaire d’un brevet d’État sera expert dans une discipline sportive mais maîtrisera moins bien la dimension sociale. Un ancien footeux ou un ancien boxeur n’auront pas la même approche non plus. De même, la pratique d’un titulaire de brevet professionnel, d’un Deust (diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques) ou d’une licence Staps sera un peu différente.

Vous évoquez les formations : sont-elles bien identifiées aujourd’hui ?

Il y a en a de plus en plus, en complément des diplômes d’État de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport, comme le Dejeps et ses spécialités, ou des Staps. À Strasbourg, nous proposons par exemple un Deust « APS et inadaptations sociales ». Toujours parmi les filières courtes, on rencontre aussi des licences professionnelles. Ces diplômes répondent à un nouveau marché du socio-sport, même si le nombre d’éducateurs formés chaque année reste limité. L’espace du socio-sport existe aussi parce que des professionnels le consacrent et l’identifient, notamment à travers l’utilisation de ce vocable. Le sport-santé connaît la même logique et est le domaine qui se développe le plus aujourd’hui, parallèlement au socio-sport.

Socio-sport et sport-santé partagent la caractéristique d’aller au-devant de leurs publics, même si ceux-ci sont différents…

C’est vrai, le sport-santé concerne des personnes plus âgées et atteintes de maladies chroniques, d’obésité, de diabète, et notamment des femmes issues des quartiers populaires, alors que le socio-sport s’adresse prioritairement aux adolescents et aux jeunes adultes. Mais en effet les deux se croisent, ce qui m’a amené à parler de « socio-sport-santé » pour caractériser les démarches sport-santé en direction des publics les plus vulnérables, dans les quartiers périphériques. Car on n’établit pas une prescription médicale de la même manière pour les populations éloignées du médecin et des campagnes de prévention que pour les classes moyennes qui ont l’habitude de consulter et de s’informer sur leur santé. À Strasbourg, les personnes qui sont entrées dans le dispositif « sport sur ordonnance » sont principalement des habitants des quartiers prioritaires (QPV).

On note aussi le souci des acteurs du socio-sport, notamment l’État et les collectivités territoriales, de favoriser l’accès des femmes et des jeunes filles à a pratique physique…

Longtemps, les dispositifs socio-sportifs ont ciblé les garçons parce que sont eux qui faisaient des rodéos urbains et brûlaient des voitures. Ces politiques genrées de pacification des banlieues avaient pour conséquence d’exclure plus encore les filles de l’espace public et des équipements sportifs et de reproduire la domination masculine. Dans les années 2000 et 2010, il y a eu une prise de conscience. Notamment celle qu’après la fin de la scolarité obligatoire, beaucoup de jeunes filles cessent toute activité physique.

Qui sont aujourd’hui les acteurs du socio-sport ?

Ils sont nombreux :fédérations sportives, collectivités territoriales, services de l’État, associations spécialisées comme l’Agence pour l’éducation par le sport… Et aussi, désormais, tous les acteurs qui forment au socio-sport. Cette variété est typiquement française : ailleurs en Europe, en Italie, en Espagne ou en Allemagne, l’État et les collectivités s’impliquent beaucoup moins, laissant le champ libre aux associations.

Vous avez pointé dans vos travaux l’instrumentalisation du « socio-sport » : qu’entendiez-vous par là ?

J’observais dans mon étude de 2008 que le sport était souvent convoqué un peu trop facilement pour inclure les exclus, comme « allant de soi ». Nombre de promoteurs des dispositifs socio-sportifs estimaient que le sport – notamment de compétition – était un outil naturellement intégrateur et socialisant : c’est l’idée qu’une fois qu’on a acquis des règles dans le sport, on va pouvoir reproduire ce comportement ou transférer ces compétences à l’école ou dans le travail. Or ce n’est pas parce que l’on a passé deux ou trois ans dans un club que l’on va forcément suivre les règles sociales dans d’autres espaces. On a parfois mis trop la focale sur le sport alors que les principaux outils d’intégration restent malgré tout l’école et le travail. Et aussi la culture, le théâtre, les bibliothèques… Je pointais cette croyance selon laquelle le sport était forcément plus efficace. Il est un outil, mais pas le seul.

Propos recueillis par Philippe Brenot 


(1) Télécharger l’introduction de William Gasparini au n°69 de la revue Sociétés contemporaines consacré à "L'intégration par le sport"
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