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Nicolas Mercat : « l’essor du vélo urbain masque la fracture territoriale »

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En préambule à de futures Assises Ufolep du vélo, Nicolas Mercat, consultant mobilité au sein du cabinet Inddigo, invite les acteurs sportifs à favoriser l’apprentissage des enfants et l’accueil des publics peu familiers de la bicyclette.

 

Nicolas Mercat, vous êtes le rédacteur de l’enquête 2020 sur l’impact et le développement du vélo1 : quels en sont les principaux enseignements ?

Les résultats sont paradoxaux. On note tout d’abord une augmentation à deux chiffres de la pratique dans les grandes villes, phénomène qui s’est encore accéléré depuis le confinement : c’est ce qu’on attendait depuis 20 ans ! Mais cela ne fait qu’accentuer la fracture territoriale entre les centres-villes des métropoles (Paris, Strasbourg, Nantes, Bordeaux, Grenoble, Lyon, mais pas encore Marseille) et le reste du territoire : les zones rurales, le périurbain et les banlieues, où la pratique continue de baisser, même si cela commence à s’inverser sur la première couronne des grandes villes. Or ces territoires réunissent quand même 80 % de la population.

Vous mettez aussi en évidence une fracture sociale…

Un bouleversement total s’est opéré sur les 25 à 30 dernières années. Alors que le vélo était plutôt ouvrier et banlieusard, la pratique s’est effondrée parmi les couches sociales les plus populaires, tandis qu’elle connaissait une forte progression chez les cadres et les professions intermédiaires. Cet effondrement est encore plus net et inquiétant chez les collégiens, qui formaient auparavant les plus gros bataillons cyclistes.

Un nouveau venu a également fait son apparition : le vélo à assistance électrique (VAE)…

Le VAE, qui connaît en effet une forte accélération, est très intéressant. Premièrement, il touche de nouveaux publics : les plus de 50 ans et les femmes, quand le vélo urbain restait jusqu’alors un phénomène principalement masculin, sans parler de la pratique sportive. Deuxièmement, il peut aider à résorber la fracture territoriale car sa percée concerne au premier chef la banlieue, le périurbain et le rural, tous ces territoires où le vélo classique patine.

Peut-il y remplacer en partie la voiture ?

Précisément, car dans 70 % des cas il s’agit d’un transfert voiture-vélo, quand le vélo en libre-service est avant tout une alternative aux transports en commun et à la marche à pied. On s’adresse donc à des gens qui n’avaient pas d’activité physique, ou très peu. La distance moyenne des parcours est également plus élevée : 8 km, contre 4 km pour le vélo classique. Le relief n’étant plus un obstacle, la fréquence de pratique est aussi beaucoup plus élevée : le VAE est l’engin de ceux qui n’hésitent plus jamais à prendre le vélo. Des études médicales montrent enfin que le VAE a davantage d’impact sur la santé de la population que le vélo classique, justement parce qu’on s’adresse à des populations moins sportives et que la fréquence d’utilisation est supérieure.

L’été dernier a aussi vu l’explosion du tourisme à vélo...

Ce phénomène s’observait déjà, avec une forte croissance des pratiques itinérantes. Les efforts engagés depuis dix ans par les collectivités territoriales paient aujourd’hui. Ce tourisme local et de proximité séduit les personnes qui, ayant renoué avec le vélo au quotidien, élargissent leur pratique aux vacances. L’inverse est également vrai, en particulier pour le public féminin : l’expérience du cyclotourisme est l’occasion de se mettre au vélo de tous les jours, avec un gain de santé très net. Le lien entre mobilité, santé et tourisme est fort.

Vous faites de l’apprentissage du vélo par les enfants et les femmes un enjeu de société. Comment les clubs sportifs peuvent-ils y participer ?

Ce n’est pas simple. S’engager dans la pratique pour tous ne va pas de soi, pour les clubs cyclistes comme pour les autres. Comme pour tout loisir sportif, le plaisir des licenciés, c’est de rouler entre copains. S’ouvrir au vélo de tous les jours ou au vélo santé, en accueillant des personnes au niveau de pratique très faible, n’est pas dans leur ADN. Je prendrai l’exemple de femmes qui ont participé à l’opération « La Mer à vélo » avec notre association Sport Santé Solidarité Savoie3 : celles qui ont ensuite fait l’essai de s’inscrire en club n’y ont pas trouvé leur compte. Il leur a été difficile de trouver leur place dans un environnement essentiellement masculin, et leur niveau restait insuffisant. Elles ont préféré rester dans notre association ou s’organiser entre elles, autour d’un groupe WhatsApp, en planifiant leurs propres voyages à vélo. 

En revanche, participer à l’apprentissage des enfants, dans le cadre du dispositif Savoir RoulerÀ Vélo, est une entrée intéressante pour les clubs cyclistes, surtout s’ils sont déjà engagés dans une approche éducative. Et l’approche de l’Ufolep me semble tout à fait pertinente.

Après le confinement, on a vu des collectivités transformer des voies de circulation routière en pistes cyclables. Élu en juillet maire du Bourget-du-Lac (Savoie), vous-même avez fait des transports une priorité…

Nous accueillons sur notre territoire la plus grande zone d’activités du département, Savoie Technolac. Ce pôle université-recherche est essentiellement accessible en voiture individuelle (avec 90% d’autosolistes). Le vélo, le VAE en particulier, fait donc partie de la solution pour éviter la congestion, surtout quand on sait que 30 % des 11 000 usagers résident à moins de 7 km. Nous élaborons au sein de la communauté d’agglomération Grand Lac un nouveau schéma vélo pour compléter les voies vertes qui mènent à Chambéry et Aix-les-Bains. Mais il nous faut aussi travailler sur l’apprentissage, le stationnement sécurisé, et encourager au développement du VAE, avec des aides à l’achat.

Y a-t-il un lien entre pratique utilitaire et pratique sportive ?

Il est ténu : on observe une légère croissance de l’usage utilitaire chez les sportifs, mais pas l’inverse. Les liens entre pratique touristique et pratique utilitaire sont en revanche nettement plus forts.

Et entre pratique sportive et cyclotourisme ?

Les dernières études ont mis en évidence un phénomène sous-évalué jusqu’alors : la pratique touristique en montagne, dans le sillage du Tour de France, pour laquelle nous sommes aux premières loges en Savoie. Et le Ventoux est un sommet de la pratique sportive touristique du vélo.

Le VAE pourrait-il se faire aussi une place dans les clubs sportifs ?

Oui, en favorisant la mixité et en permettant aux seniors de rester dans le peloton quand la route monte un peu. Je pense aussi aux plus de 75 ans qui cessent brutalement toute activité, souvent avec une dégradation physique très rapide. Le VAE de route peut leur permettre de prolonger leur pratique et de conserver leur santé. Et dans le domaine du VTT, le VAE domine d’ores et déjà dans les achats, y compris pour les pratiquants dans la force de l’âge, qui trouvent là le moyen d’aller plus loin et d’avaler davantage de dénivelé. J’ajouterai que le VAE a constitué une bouffée d’oxygène pour les vélocistes, car ce matériel est essentiellement acheté dans les commerces spécialisés.

La « vélorution » est donc en marche…

Le phénomène est engagé en ville, et s’accélère. Mais, je le répète, on n’arrivera pas à développer le vélo en France sans réduire fracture territoriale et sociale. Cela passe par une véritable politique cyclable, avec un financement à la hauteur de l’enjeu : au moins 20 à 30 € par an et par habitant de la part des collectivités locales. Or pour prendre l’exemple de notre intercommunalité, nous sommes à 5 ou 6 €, contre 100 € pour les transports en commun (et même 300 € dans les grandes villes) ! De leur côté, les fédérations du vélo, et tout particulièrement l’Ufolep et ses associations, peuvent apporter leur concours dans l’apprentissage des scolaires et l’accompagnement des publics éloignés, en apportant cette dimension sociale, conviviale et d’entraide propre à l’esprit associatif.

Propos recueillis par Philippe Brenot

(1) Cette étude, qui agrège des données venant de différentes sources (collectivités et enquêtes touristiques), a été finalisée avant le confinement. Une indication toutefois pour l’année en cours : selon une évaluation portant sur 182 compteurs représentatifs, la fréquentation des pistes cyclables a augmenté de 29 % en France sur les huit premiers mois de l’année par rapport à la même période de 2019 (et notamment + 67 % à Paris entre la sortie du confinement et fin août, + 24 % à Lyon, + 26 % dans la métropole lilloise).


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