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L’amicale laïque, un modèle à redécouvrir ?

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Solidement implantées sur certains territoires, les amicales laïques ne représentent plus, à l’échelle nationale, qu’une minorité d’associations Ufolep. Elles ont aussi perdu de leur ciment idéologique. Mais leur modèle associatif reste actuel en permettant d’accueillir plusieurs activités en leur sein.

On aurait aimé pouvoir demander au regretté Alain Rey de décortiquer le mot d’« amicale laïque » comme il le faisait sur France Inter, et de disserter sur sa symbolique : l’idée de compagnonnage et d’ouverture à l’autre, en dehors de toute appartenance politique, sociale ou religieuse. Le Petit Robert, son grand œuvre, rappelle que l’adjectif « amical » dérive du latin « amicalis », et que le nom féminin caractérise « une association de personnes ayant une même profession, une même activité ». L’éminent lexicographe aurait cependant pu préciser que, lorsqu’elle s’affiche « laïque », l’amicale réunit des personnes partageant un projet de société.

De son côté, le Larousse ajoute : « Se dit d’une rencontre sportive sans enjeu : match amical ». Mais un enjeu, il y en avait un, et de taille, quand ces associations loi 1901 ont émergé pour défendre l’école publique et promouvoir des activités éducatives et sportives, au bénéfice d’une jeunesse qu’en ce début de XXe siècle les patronages catholiques étaient prompts à accaparer.

L’Auvergne, massivement laïque

Natif de Pont-du-Château, commune du Puy-de-Dôme qui l’a fait citoyen d’honneur, Alain Rey savait-il seulement que la bibliothèque municipale qui porte son nom fut l’une des premières réalisations de l’amicale laïque créée en 1964, assez tardivement, à l’initiative du directeur de collège de l’époque ? Il n’existait jusqu’alors qu’un patronage pour enfants, animé le jeudi après-midi par les enseignants.

Au début, les activités éducatives et culturelles dominaient : cuisine, vannerie et dessin ; puis philatélie, photo, chorale, école de musique, danse folklorique, informatique, jeux de rôles… Les activités sportives vinrent bientôt les compléter : sorties à la piscine et au ski, sections canoë-kayak et volley-ball. Aujourd’hui, face à l’atelier dentelle et à la danse modern-jazz, le sport l’emporte haut la main : randonnée pédestre, marche nordique, tir à l’arc, pétanque, speedminton, aquagym et stretching.

Le lien avec les écoles publiques demeure. « Nos bénévoles encadrent le cross, les olympiades et la journée Petits athlètes des maternelles, et aussi des stands tir à l’arc et sarbacane lors des fêtes de fin d’année », souligne Monique Boucheix, qui préside l’amicale depuis quinze ans. Dans le même esprit, en lien avec la mairie l’amicale permet chaque année aux jeunes du chantier Concordia de se délasser avec des activités de plein air après leurs travaux de terrassement ou de maçonnerie. Elle contribue aussi à l’animation locale avec un salon du livre régional biannuel et un rassemblement de dentelières (appelé « couvige ») quadriennal.

Pour l’anecdote, l’amicale de Pont-du-Château a longtemps financé une partie de ses activités grâce à la mobilisation d’une quarantaine de bénévoles pour le pliage et la mise sous bande du journal L’Auvergne laïque, désormais consultable en deux clics sur son site internet. Et si Monique Boucheix regrette que « les mentalités changent » et que « certains adhérents oublient un peu le message républicain Liberté-Égalité-Fraternité », cette identité laïque s’affiche dès la page d’accueil, qui renvoie, entre autres, au site national de la Ligue de l’enseignement et aux versions en ligne de la revue En Jeu et du code Sport et laïcité de l’Ufolep.

Politique de la ville

À l’image de celle du Pont-du-Château, les amicales laïques demeurent un acteur central du sport pour tous dans le Puy-de-Dôme. « Parmi nos 248 associations Ufolep, 76 sont des amicales, dont 16 implantées dans les quartiers de Clermont-Ferrand. Elles réunissent près de 63 % de nos 18 000 licenciés1 », souligne le président départemental, et élu national, Jean-Claude Dauphant.

Forts de leurs nombreuses sections, les amicales et autres foyers et patronages pèsent lourd, à l’image des 1 600 licenciés Ufolep du Centre de loisirs de Cournon ou des 800 autres du Foyer de jeunesse et d’éducation populaire de Lempdes. Née en 1912, la doyenne et autrefois très cocardière association Pro Patria de Maringues en réunit pour sa part 200, pour 3 000 habitants.

Toutefois, depuis une cinquantaine d’années, il ne se créée plus guère d’amicales dans le Puy-de-Dôme, et certaines voient leur rayonnement décliner. En milieu rural, par endroit leurs activités se réduisent peu à peu, tandis qu’en ville certaines sections prennent leur indépendance et se tournent parfois vers les fédérations délégataires. Et comme les activités sportives les plus représentatives sont celles de la forme ou des disciplines comme la randonnée pédestre et la pétanque, la moyenne d’âge tend à grimper. « En revanche, souligne Jean-Claude Dauphant, dans les quartiers les amicales laïques sont un relais essentiel de la politique de la ville. Et en milieu urbain comme dans les villages, elles conservent une action importante autour de l’école, en participant aux projets éducatifs, financièrement ou à travers des activités complémentaires, tout en favorisant le vivre ensemble. »

En Loire-Atlantique, des amicales installées dans le paysage

À la différence d’anciens bastions comme le Nord et le Pas-de-Calais, où leur représentativité s’est beaucoup réduite, les amicales laïques tiennent encore solidement le terrain dans le grand Ouest, où la guerre scolaire est longtemps demeurée un conflit de haute intensité. C’est vrai en Bretagne, notamment dans le Finistère, et tout particulièrement à Brest (lire aussi page 14) ou dans le pays bigouden : une implantation encore très marquée par l’opposition entre école privée et école publique. Dans le département, qu’il s’agisse d’amicales, de patronages ou de foyers, les associations s’affichant « laïques » dans leur nom réunissent ainsi 58 % des licenciés Ufolep chez les jeunes et 71 % chez les adultes.

Les amicales laïques restent également bien établies dans les Pays-de-la-Loire. C’est particulièrement vrai en Loire-Atlantique, où on en recense 167, dont 67 affiliées à l’Ufolep, où elles représentent plus du tiers des associations et deux licenciés sportifs sur trois2.

De nouvelles voient même encore le jour, comme récemment autour de l’école des Batignolles, dans le quartier de la Beaujoire, à Nantes. « Si toutes les amicales ne sont pas directement rattachées à une école mais à leur village ou leur quartier, un lien fort demeure avec celle-ci, lieu de rencontre autour du pacte républicain », insiste le président départemental Pierre-Yves Delamarre, pur produit de l’amicale de Doulon, à Nantes, et enseignant de mathématiques en collège.

Cet enracinement n’a pas empêché une forte déperdition dans des disciplines sportives emblématiques. « Dans mon amicale, les statuts stipulent que les sections sportives sont affiliées à l’Ufolep. Mais la règle ne vaut pas partout, et on ne saurait reprocher à un sportif de souhaiter pratiquer à un niveau plus élevé. C’est la raison pour laquelle nous avons perdu dans les années 1990 les sports les plus structurés par la compétition : basket, football, rugby… Une hémorragie de plusieurs milliers de licenciés. »

Pour Pierre-Yves Delamarre, il est vain de vouloir lutter avec les fédérations délégataires sur leur terrain. « En revanche, il faut travailler sur le projet de l’amicale : l’éducation populaire, la citoyenneté par le sport. Sous cet angle, l’Ufolep apparaît comme une évidence. » En réponse à l’effacement des sports collectifs, le comité a ainsi développé les écoles de sport, en s’appuyant précisément sur le réseau des amicales laïques et leur proximité avec l’école. « Ainsi, le multisport est aujourd’hui l’une de nos trois premières familles d’activités, avec les différentes gymnastiques et les sports de raquette. »

Mais, au-delà de ces activités florissantes, que demeure-t-il de l’identité laïque ? « Il est des amicales où les dirigeants restent très concernés par la défense de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, note Pierre-Yves Delamarre. Mais aujourd’hui, très clairement les pratiquants viennent d’abord pour l’activité, et le qualificatif de "laïque" est surtout synonyme de sport "pour tous" et d’accessibilité. »

Cette « sécularisation » n’a pas fragilisé les amicales, au contraire. « Quand on a 40, 60 ou 90 ans d’ancienneté, comme l’amicale de Vertou, située dans la deuxième couronne nantaise, on fait partie du paysage. Et s’il est arrivé par le passé qu’un maire fasse payer à l’amicale laïque l’engagement de ses dirigeants sur une liste d’opposition, ce genre de situation est rare. Quelle que soit la couleur politique, les élus locaux reconnaissent le travail social et éducatif réalisé par les amicales. »

En Dordogne, on cherche la relève

Dans le Sud-Ouest aussi, en maints endroits, les amicales laïques font partie du paysage, de manière plus modeste mais néanmoins significative. C’est notamment le cas autour de Bordeaux et dans cette Dordogne radicale-socialiste qui fut longtemps un terreau fertile. Autrefois présentes dans presque chaque village, comme en Loire-Atlantique les amicales laïques y réunissent encore plus du tiers des 147 associations et des licenciés Ufolep,en dépit d’unetendance au repli qui fait entrevoir le processus qu’ont pu connaître auparavant d’autres territoires : quand le ciment idéologique s’effrite, l’engagement bénévole tend à s’essouffler et in fine, les activités disparaissent ou se recomposent en dehors de leur giron.

C’est précisément ce que voudraient éviter les dirigeants de l’amicale laïque l’Étoile de Saint-Astier, créée en 1946 dans ce bourg de 5 000 habitants situé à vingt kilomètres à l’est de Périgueux. « Notre équipe souhaite passer la main, mais nous ne trouvons pas de successeurs », explique Jacky Morin, 65 ans, électricien retraité du ministère de la Défense, qui préside l’amicale depuis vingt ans et y siège depuis bientôt trente. « À l’époque, les enseignants étaient majoritaires et l’amicale apportait son concours à l’école pour toutes ses activités. Elle avait également la responsabilité du centre de loisir et de la bibliothèque, aujourd’hui gérés en direct par la mairie. »

Parallèlement, faute de renouvellement des animateurs bénévoles, l’anglais pour adultes et l’aide à la scolarité pour les collégiens ont fini par disparaître. Quant aux deux activités culturelles les plus récemment apparues, après avoir profité du rôle d’« incubateur associatif » de l’amicale, elles volent désormais de leurs propres ailes : le théâtre, animé par une passionnée qui avait vite fédéré une soixantaines d’amateurs de tous âges, et les jeux de rôles, lancés par un groupe d’adolescents. Ne reste plus à présent que la section scrabble et sa vingtaine d’experts du « mot compte triple », également affiliés à la fédération française afin de participer à des tournois officiels.

Résultat : sur 200 adhérents, 160 sont aujourd’hui licenciés dans les cinq sections Ufolep de cyclotourisme, marche nordique, gymnastique d’entretien, tai chi chuan et VTT. Et si celles-ci se sentent fort à leur aise, bien au chaud dans le giron de l’amicale, les vocations dirigeantes se font rares. « Pour donner un coup de main, les bonnes volontés ne manquent pas, observe Jacky Morin. Mais pour assumer les responsabilités propres à une association fédérant plusieurs sections, il n’y a plus grand monde. Nous avons pourtant revu notre fonctionnement pour alléger la tâche des élus, en impliquant davantage chaque section dans la gestion de son activité. Nous avons également souligné l’intérêt financier de ne payer qu’une seule affiliation et une seule assurance en responsabilité civile pour tout le monde. Mais l’argument n’a pas été entendu. »

Que se passerait-il alors si, en dépit du soutien indéfectible de la mairie, qui prête des locaux et renouvelle ses subventions, l’amicale finissait par être dissoute ? « Les sections les plus solides, cyclotourisme et marche nordique, renaîtraient probablement sous la forme d’associations indépendantes, sans quitter l’Ufolep. Mais celles qui ne comptent que dix ou vingt adhérents risqueraient fort de disparaître », s’inquiète Jacky Morin.

« Cherche dirigeants pour projet commun »

Les préoccupations du président de l’Étoile de Saint-Astier sont pleinement partagées à l’échelon départemental. « Quand une amicale disparaît pour laisser la place à plusieurs associations, cela peut donner l’impression que le réseau se développe. Mais c’est trompeur : il est seulement plus éclaté, et l’on perd une approche de territoire qui favorise la cohérence du projet, analyse Mathieu Pommier, délégué Ufolep de Dordogne. C’est pourquoi nous mettons en place avec la Ligue de l’enseignement des formations pour apprendre à gérer ce type d’association au moyen d’un "tableau de bord". Mais encore faut-il trouver les personnes susceptibles d’endosser la fonction. C’est aussi une question de légitimité. Autrefois, ce sont les instituteurs de village qui, forts de leurs convictions et de leur statut social, pilotaient les amicales. Aujourd’hui, on ne rencontre plus ce genre de profil. »

L’accompagnement des dirigeants est donc un enjeu crucial pour éviter que le réseau des amicales laïques ne s’effiloche, notamment là où elles fournissent les plus gros bataillons de licenciés. « Le moment le plus délicat, ce sont les renouvellements de bureau, insiste Marilyne Faath, directrice de l’Ufolep du Rhône et Métropole de Lyon. Les militants âgés qui, bien souvent, portent les amicales à bout de bras, peinent à trouver une relève. »

Et pourtant, « le modèle de l’amicale laïque reste complètement pertinent, notamment en ce qu’il permet de lancer une nouvelle activité sans besoin de créer une association. La contrepartie, c’est qu’il faut des administrateurs en mesure de gérer ce qui peut devenir une "grosse machine", fait écho Pierre-Yves Delamarre. Mais cela ne suffit pas. Il faut également être vigilant à ne pas devenir un simple prestataire d’activités culturelles et sportives, et rester guidé par son projet d’éducation populaire tourné vers sa commune ou son quartier. »

Philippe Brenot


En Jeu Ufolep 45, mars 2021
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