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« Je me souviens du Tour de France », par Béatrice Houchard

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La vocation professionnelle de Béatrice Houchard, journaliste à L’Opinion, est née de sonrêve d’enfant de couvrir le Tour de France, auquel cette "poulidoriste" convaincue a consacré deux ouvrages, dont Le Tour de France et la France du Tour (Calmann-Lévy, 2019).

Je me souviens du petit vélo bleu de mon enfance. Au départ, je n’étais pas très douée quand j’appuyais sur les pédales. Puis j’ai emprunté le vélo de ville de ma mère (chanteuse, elle allait travailler au théâtre avec). Mon jeu préféré consistait à repérer un Solex, à foncer le plus possible pour le rattraper, le dépasser, avant de relâcher l’effort et de reprendre mon souffle.

Je me souviens qu’en 1966, dans l’étape contre la montre de l’Ile-Rousse, Raymond Poulidor avait battu Jacques Anquetil. Mais, deux jours plus tard, avec la connivence du peloton, Anquetil avait finalement gagné Paris-Nice. Cette injustice a fait de moi une « poulidoriste ». Et cette rivalité exacerbée entre Anquetil et Poulidor, avant-goût inconscient de second tour d’élection présidentielle, a fait naître ma vocation : je serais journaliste pour pouvoir suivre le Tour de France. « On en reparlera », a dit mon père, qui préférait Bach à Bobet et Ravel à Van Steenbergen. C’était tout vu.

Je me souviens qu’au lycée, je lisais L’Équipe en cachette pendant les cours de dessin. Je ne faisais pas beaucoup d’efforts en gymnastique mais, sur mon vélo, je battais au sprint la plupart des copains du quartier.

J’allais voir Paris-Roubaix chez le boucher, M. Rocheteau, car on n’avait pas encore la télévision. L’été, le Tour était en noir et blanc chez mes grands-parents en Normandie. Je me souviens de l’annonce de la mort de Tom Simpson dans le Mont Ventoux, le 13 juillet 1967.

Je me souviens de ma première arrivée de Paris-Tours, du sprint victorieux de Rik Van Looy, du premier prologue à Angers. Poulidor avait (encore !) raté de peu le maillot jaune. Pas sectaire, je suivais aussi d’un œil les exploits de Michel Jazy, Cassius Clay, Di Nallo qui se prénommait Fleury et Johnny Servoz-Gavin au volant de sa Matra. J’avais dans ma chambre les posters des frères Kennedy et de Martin Luther King. Je me souviens que j’ai pleuré quand les chars russes sont entrés dans Prague. Je me souviens que la première étape du Tour que j’ai suivie se déroulait au Futuroscope.

J’ai fini par préférer le duel Giscard-Mitterrand à la rivalité Hinault-Zoetemelk, sans jamais oublier le cyclisme. Beaucoup plus tard, prenant un café avec Raymond Poulidor au village départ du Tour, je n’ai pas osé lui dire que je lui devais un peu ma vocation journalistique. Je me souviens qu’à Pau, en 2019, après avoir échangé avec lui quelques phrases sur Julian Alaphilippe, je l’ai trouvé tellement fatigué qu’il m’a semblé que je le reverrais plus. Je crois bien qu’avec sa mort s’est refermée mon enfance. Il était temps.


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