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Le socio-sport vu du terrain

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Le socio-sport réunit des acteurs qui s’adressent à des publics éloignés de la pratique, mais se différencient dans l’approche des activités, observe la chercheuse et élue nationale Ufolep Camille Collet, auteure d’une étude menée à Rennes.

Camille Collet, vous avez soutenu en novembre 2018 à l’université Rennes 2 une thèse de doctorat en Staps intitulée « comprendre le développement et la structuration de "l’espace des socio-sports" rennais ». Mais qu’est-ce que le socio-sport ?

Le socio-sport s’adresse à des publics éloignés de la pratique sportive, qui n’y viendraient pas d’eux-mêmes et qu’il faut aller chercher. Le sport y est au service du social, pas l’inverse. Mais je me garde bien de donner une définition stricte : il n’y a pas un seul socio-sport. Sinon, le terme lui-même est apparu au début des années 1980. Sur le territoire rennais, il a été officialisé il y a une dizaine d’année par l’intitulé de la convention passée par la Ville de Rennes avec plusieurs associations, dont le Cercle Paul Bert, affilié à l’Ufolep.

Qui en sont les acteurs ?

On peut distinguer six familles d’acteurs, s’identifiant eux-mêmes comme mettant en place des actions socio-sportives. Un, les clubs sportifs traditionnels. Deux, les maisons de quartier. Trois, les fédérations et les associations « mixtes » comme l’Ufolep et le Cercle Paul Bert, qui proposent à la fois une pratique traditionnelle et des actions spécifiques vers les publics éloignés de la pratique. Quatre, la filière sportive territoriale, en l’occurrence la Ville de Rennes. Cinq, une association d’insertion par le sport. Six, les structures spécialisées, à vocation sociale, mais qui mobilisent l’outil sportif.

Ces acteurs se différencient aussi par leur approche du sport…

Les uns se réfèrent classiquement au modèle traditionnel du sport de compétition ; d’autres sont clairement tournés vers l’accès à la pratique de publics éloignés ou exclus ; d’autres encore vont plus loin dans cette approche « sociale », en accompagnant les publics dans une démarche éducative à moyen et long terme, et en s’adaptant à eux. De mes entretiens et de mes observations est ressortie cette classification.

Trois modèles identifiés « scientifiquement » sur une projection spatiale, avec abscisse et ordonnée…

J’ai croisé les deux critères déterminants que sont les publics et l’approche du sport développée par ces acteurs, en représentant un « espace des socio-sports » à partir de deux axes : l’un horizontal, l’autre vertical. Côté publics, je me suis appuyée sur la théorie de l’intégration du sociologue Robert Castel, qui identifie les publics « désaffilié », « vulnérable » ou « intégré ». Et, côté mode de pratique, sur le fait que les acteurs interrogés privilégient plutôt le loisir ou la compétition. Mais attention, il ne s’agit pas d’une typologie pure et dure du socio-sport. Cela reviendrait à enfermer les structures dans un modèle alors qu’elles peuvent relever de plusieurs d’entre eux, comme le Cercle Paul Bert.

Mais certains ne sont-ils pas tentés de « vendre » la dimension « socialisatrice » de leur action, afin de prétendre à certains financements ?

Il peut exister un décalage entre le discours et les faits. De plus en plus de fédérations mettent en place des mesures financières pour inciter leurs clubs à s’engager dans le socio-sport, et l’État, via le Centre national de développement du sport (CNDS) propose une enveloppe spécifique « politique de la ville ». Au-delà de ces considérations, il est de bon ton de mettre en avant le côté social du sport. En cela, les études de William Gasparini et Dominique Charrier pointent clairement les enjeux d’instrumentalisation du socio-sport. Mais n’en concluons pas hâtivement que les clubs qui s’engagent dans le socio-sport le font de façon intéressée. C’est important de le préciser, car des tensions existent entre les clubs traditionnels et les autres structures.

Ces acteurs se comportent-ils en concurrents ou en partenaires ?

L’espace des socio-sports est perçu comme concurrentiel. Pour ma part, je me suis employée à faire apparaitre les complémentarités. Un jeune peut être « capté » par une structure qui utilise le sport comme un outil – pour l’accrocher, qu’il soit bien dans son corps, le resocialiser, le rendre réceptif à un message éducatif –, et lui permettre ensuite de se tourner vers un club classique, y compris pour une pratique compétitive.

Vous avez des exemples ?

J’ai en tête le projet mené par le Cercle Paul Bert auprès des jeunes du voyage. Le service socio-sport a commencé par proposer des animations sportives, le mercredi après-midi, sur les terrains où résident les gens du voyage, afin de créer le lien avec les familles et d’instaurer un rapport de confiance. Dans un deuxième temps, nous avons accompagné les jeunes jusqu’aux installations sportives d’un quartier voisin, à 5 ou 10 minutes à pied, où ils ont pratiqué avec d’autres jeunes de leur âge. Et, trois ans après, certains se sont inscrits d’eux-mêmes dans un accueil jeunes du Cercle Paul Bert. Dans le socio-sport, les effets se mesurent à long terme : on ne gagne pas un championnat, on ne remporte pas une coupe. On ne raisonne en attendus sociaux.

Cela pose la question de l’évaluation…

C’est le talon d’Achille du socio-sport. Dans les bilans des dossiers de subvention, on demande des données quantitatives, à une échéance de 6 mois ou un an après la mise en place du projet. C’est trop court pour mesurer l’impact d’une action.

Est-ce de nature à remettre en cause le socio-sport, lors d’une alternance politique par exemple ?

Pas à Rennes, où l’infléchissement des politiques sportives vers les publics éloignés de la pratique ne se dément pas. Sa légitimé est néanmoins fragile. Le socio-sport reste une pratique minoritaire et qui ne fera pas l’ouverture de la rubrique sport de Ouest-France ! Et il repose sur des financements publics, c’est-à-dire sur l’envie des politiques.

En conclusion, vous insistez sur la formation des intervenants et l’intérêt d’un diplôme associant les deux compétences, sociale et sportive…

Ce serait une reconnaissance du métier. Aujourd’hui, un animateur ou une animatrice appartient tantôt au secteur sportif, tantôt au secteur socio-éducatif, tantôt au secteur social. Mais des choses se mettent en place, comme à Rennes à travers un Brevet professionnel Jeunesse éducation populaire et sport, option « activités physiques pour tous et animation sociale ». L’Ufolep propose aussi des formations – non diplômantes – aux professionnels de son secteur « sport société ». Forte de l’expérience acquise avec le Cercle Paul Bert, l’Ufolep d’Ille-et-Vilaine a d’ailleurs contribué aux contenus de cette formation. Le socio-sport s’adresse à un public en difficulté, qu’il faut aller chercher. Et cela s’apprend.

Propos recueillis par Philippe Brenot


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